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I.

Au commencement du mois de mars 1846, l’armée américaine était campée près de la baie de Corpus-Christi, sur la rive gauche du Rio de las Nueces et à deux pas du territoire contesté. On n’attendait que le moment où l’annexion du Texas serait officiellement connue pour envahir l’état de Tamaulipas. Les Mexicains étaient campés à Matamoros, ville qui, par l’importance de sa position géographique, devait être le premier point convoité par les États-Unis. Située sur le bord du Rio-Bravo del Norte, un des seuls fleuves navigables du Mexique, à onze lieues de la mer et à trois cent cinquante de Mexico, Matamoros n’était, avant 1829, qu’une bourgade sans importance, visitée seulement de temps à autre par de petits navires contrebandiers. Ouverte en 1829 au commerce étranger, la ville de Matamoros prit un développement rapide. A l’époque où l’ambition envahissante des Américains ne s’était pas encore révélée, le général Teran avait eu l’idée d’y établir une colonie de Galiciens qui se seraient partagé le territoire compris entre le Rio-Nueces et le Bravo. C’eût été une barrière infranchissable élevée devant les États-Unis, et on commit une faute grave en ne donnant pas suite à ce projet ; des colons venus des États-Unis remplacèrent, sur le territoire voisin de Matamoros, la population galicienne qu’y voulait établir le général Teran.

L’armée d’occupation des Américains était forte de trois mille hommes d’infanterie, d’environ quatre cents cavaliers et artilleurs à cheval desservant dix-huit pièces de canon de 6 ou de 8, et de six cents settlers conduisant trois cents chariots. Ces divers corps étaient placés sous les ordres du général Taylor. Commandés par des citoyens de l’Union, ils étaient composés d’un ramassis d’aventuriers français, anglais, allemands et polonais. Au milieu de ces hommes indisciplinés et les dominant tous apparaissait la figure étrange du settler américain, ce dompteur par excellence de la nature sauvage, la coignée sur l’épaule et la carabine à la main, toujours disposé à abattre un arbre ou un ennemi, et qui semble appelé par une loi providentielle à peupler, à parcourir en tous sens le continent américain. Les roues des chariots des settlers ont sillonné tous les déserts qui s’étendent entre les frontières nord du Mexique, des États-Unis, et les bords du Missouri et de l’Océan Pacifique. Ce serait une histoire curieuse à faire que celle des migrations périodiques de ces infatigables marcheurs qui semblent regarder le monde comme leur domaine, et qui, à travers des plaines sans fin, au milieu de cent peuplades sauvages, poussent toujours devant eux, tant que le terrain ne leur manque pas, de longues files de chariots, derrière lesquels ils combattent comme les anciens Cimbres. Aux heures de halte,