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différence qui existe entre l’école nouvelle et cette école languissante de la fin du XVIIIe siècle, qui, sous l’inspiration de Comella, essayait une naturalisation grossière de la comédie larmoyante, et que Moratin stigmatisait dans le Café en l’expulsant de la scène. Les ouvrages plus récens sont le fruit d’une inspiration comique qui est allée en se transformant, et qui retrouve peu à peu, à travers toutes les influences, son naturel, sa liberté et sa force. Nous ne voulons rien grossir : ce sont des germes qui s’ouvrent à peine peut-être ; mais ces germes décèlent une certaine sève littéraire qui fermente au sein de l’Espagne.

Breton de los Herreros est un des plus ingénieux promoteurs de cette réforme contemporaine de la comédie. Le premier, après Moratin, il a recherché l’originalité, et il a ramené au théâtre la muse de l’observation. Il faut compter pour peu de chose ses essais dans le drame, ses imitations de nos tragédies en vogue, — tribut inévitable payé à des tendances mauvaises. Ce qui frappe dans son talent, c’est sa nature exclusivement railleuse et son caractère véritablement espagnol ; c’est ce double cachet qui est empreint sur les cent pièces de son répertoire. On a prétendu jouer dernièrement à Paris une de ses œuvres, le Poil de la prairie (el Pelo de la dehesa) : le public, — public rare et à grand’peine amené, — est resté froid devant les tribulations de ce brave campagnard aragonais, don Frutos, si complètement dépaysé à Madrid, qui préfère sa zamarra aux habits élégans, trouve médiocrement gai d’aller bâiller à l’opéra et aime mieux la musique de ses chiens dans la montagne, qui se heurte à chaque pas contre les exigences de la civilisation et finit par briser ce réseau de séductions perfides dont l’entoure une femme ruinée pour lui faire épouser sa fille. Cet accueil fait en France à la comédie de Breton est naturel et n’a rien qui puisse étonner, bien que cette figure aragonaise soit pleine de vérité et de couleur. C’est que Breton de los Herreros offre de nos jours, en Espagne, le type rajeuni de la comédie spirituelle, vive et mordante, qui néglige l’action pour se jouer dans les détails, qui éblouit par l’inépuisable abondance de la moquerie et par la variété des tons, qui surprend par la promptitude et la justesse du trait, et fait jaillir la gaieté comme une étincelle imprévue, — de la comédie, en un mot, qu’il est le moins donné à un étranger de comprendre et qu’il est le plus difficile de traduire. Dans cette opération critique de la traduction, le rayon de vie s’évanouit, la grace s’efface, le feu de la verve s’éteint ; l’idée heureuse se laisse encore apercevoir, il est vrai, mais le charme des combinaisons délicates a disparu, et il ne reste qu’une action décolorée qui permet à peine de deviner ce que fut l’œuvre primitive. Le Pelo de la dehesa n’est point d’ailleurs, en ce genre, la meilleure des comédies de Breton. La plus élégante, celle que rien n’égale peut-être dans tout le théâtre de l’auteur, c’est Marcela, ou À qui des trois ? Les qualités et les défauts de Breton