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plus ternes, c’est de rechercher une expression particulière et nationale des idées et des sentimens modernes, d’offrir une étude morale ou historique de l’homme en harmonie avec les goûts que notre siècle a fait naître et qui se développent chaque jour.

Tel est le caractère de l’Homme du monde de Ventura de la Vega, dont le succès n’a point faibli en Espagne depuis le premier moment. Vega s’était d’abord laissé absorber par les traductions ; nul mieux que lui ne savait adapter un ouvrage français à la scène espagnole. Vraie nature américaine, vive et indolente, qui pousse l’abandon jusqu’à l’oubli, la paresse jusqu’au système, jusqu’à la poésie, Vega s’est réveillé par une comédie qu’on peut dire originale dans l’état de la Péninsule, et où une pensée morale, vraie, juste et simple comme une donnée de Moratin, est développée avec un talent très fin et une logique qui ne dévie jamais du but. Quelle est l’idée de l’Hombre de mundo ? C’est un homme qui a passé sa jeunesse dans la dissipation, qui a épuisé tous les plaisirs, toutes les voluptés, s’est fait une renommée mondaine, une gloire de séducteur, a vu la vertu des femmes plier devant son caprice, et qui, las de ces jouissances éphémères dont plus d’une est un remords pour lui, cherche un bonheur plus calme, plus intime, moins disputé dans le mariage. Ici se présente l’idée morale sous son aspect dramatique : ce bonheur tranquille du foyer est-il possible pour un cœur plein de souvenirs et de déceptions, gâté par les succès faciles, qui a vu si souvent le devoir sacrifié à l’amour en sa faveur, et s’est accoutumé aux ruses, aux habiletés que le monde pardonne en souriant, en raillant même celui qui en est victime ? À peine marié, don Luis voit se lever devant lui le fantôme de son passé ; il s’effraie de toutes ses actions comme d’une menace incessante qui met en péril sa légitime affection et sa dignité d’homme. Ce passé prend un corps en quelque sorte pour lui, et vient le gourmander sous la figure d’un de ses anciens compagnons de plaisirs, don Juan. La lutte entre ses souvenirs et les conditions de son existence nouvelle éclate brusquement, dès le début, dans une scène où don Juan, qui tombe dans sa maison, ne le sachant pas marié, complimente don Luis sur sa maîtresse du jour comme il ferait sur un beau cheval, et finit par lui proposer effrontément un échange. Don Juan est bientôt éclairé, il est vrai ; mais lorsque don Luis lui fait l’histoire de son bonheur conjugal, lui révèle les joies inattendues que la présence d’une femme met dans son intérieur et l’engage à suivre son exemple, que fait don Juan ? Il répond à l’époux oublieux et mal assuré encore dans sa constance par ses propres paroles d’autrefois ; il lui rappelle leur vie commune et fait briller de nouveau à ses yeux quelque étincelle des passions éteintes. Il reprend une à une, et non sans chatouiller l’amour-propre satisfait de don Luis, ces bonnes fortunes qui firent dans le monde sa renommée brillante, jusqu’à ce qu’enfin, en déroulant cette série