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pour lui rappeler ses folies anciennes, pour lui infliger, comme un châtiment, le souvenir de toutes ses attaques contre l’honneur et le bonheur des autres. Qu’on prenne doña Clara, la jeune femme : elle a épousé don Luis, séduite par l’éclat qu’il fait dans le monde, et maintenant, jalouse du passé, elle se plaît à se montrer coquette avec son mari, comme pour mieux le retenir ; elle ne fait au contraire qu’éveiller sa défiance. Clara redouble de soins, d’attentions délicates, d’habileté ; don Luis redouble de diplomatie insidieuse, de réserve méfiante et d’efforts pour surprendre quelque intrigue cachée. Un passé vicieux les anime l’un contre l’autre et leur souffle sans cesse de mutuels soupçons. Il n’est pas jusqu’à un Figaro subalterne, le valet Ramon, confident de don Luis dans ses jours de plaisirs et mal résigné à la vie de ménage, qui n’attise le feu des souvenirs dans le cœur de son maître, et ne tente de l’arracher à la paix du foyer comme à une indigne déchéance. Qu’y a-t-il, cependant, en réalité, qui puisse un instant provoquer et entretenir les doutes du méfiant époux ? Il y a un amour secret et candide noué entre un jeune homme et la jeune sœur de doña Clara, amour que celle-ci favorise. C’en est assez de ce délicat mystère pour enflammer les soupçons de don Luis. Et notez que le moyen n’est point moralement invraisemblable, car, par un juste retour, la clairvoyance injurieuse d’un cœur corrompu est impuissante à discerner les mobiles qui restent naïfs et purs. Hélas ! quelle est donc cette expérience du monde qui vient s’embarrasser ainsi dans cette toile d’araignée de juvéniles amours et s’essouffle risiblement à poursuivre des chimères qu’elle-même elle crée ? N’est-il point vrai, ainsi que le dit doña Clara en finissant, qu’il ne suffit pas de penser mal de toutes choses pour être un parfait homme du monde ? — C’est cette donnée heureuse que l’auteur a choisie ; c’est cette idée morale qui se trouve souvent analysée avec finesse dans l’ouvrage, parfois seulement effleurée. L’Hombre de mundo est une des plus charmantes comédies modernes de l’Espagne, une de ces productions qui, sans être absolument neuves, rajeunissent avec grace un sujet déjà ébauché.

Une circonstance particulière vient prouver ce qu’il y a de réellement sérieux et de vivace dans ce mouvement dramatique qui s’est manifesté en Espagne, quelque force qu’aient pu avoir les influences étrangères qui ont plané sur son origine : c’est la variété des efforts qui ont été faits, la persévérance des esprits à multiplier les essais, à rechercher toutes les formes que peut revêtir la pensée comique. Il n’est pas un genre qui n’ait ses sectateurs, depuis la comédie légère et capricieusement spirituelle dont Breton de los Herreros est le représentant jusqu’à la comédie qui s’applique à peindre l’homme dans l’histoire, à décrire une époque avec ses passions, ses mœurs et ses ridicules. C’est dans ce dernier genre qu’a réussi l’auteur de la Roue de la fortune, l’un