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Ce que le sage fait pour la vérité, l’artiste le fait pour la beauté. Il fixe les apparences de la nature qui lui semblent les plus belles. Dans un paysage, le peintre doit dédaigner les détails et peindre l’idée que lui suggère le paysage. Dans un portrait, c’est le caractère et non les traits qu’il doit peindre. L’artiste est celui qui sait le mieux généraliser une chose particulière, fixer pour jamais une chose momentanée, découvrir au milieu d’apparences éphémères le trait prédominant, le caractère essentiel, la réalité éternelle.

Il est superflu de s’arrêter long-temps sur ces idées : cherchons à les expliquer. Toutes les choses de ce monde, en effet, celles de la nature et celles de notre esprit, nos pensées, nos sentimens, nos perceptions, ne sont que des apparences ; elles passent, repassent et s’évanouissent. Tout dans le monde extérieur et dans notre cœur est sujet à des métamorphoses infinies ; mais le sage reconnaît que ces choses sont les spectres des réalités : il arrête sur elles un regard fixe, démêle les apparences trompeuses des symboles véritables, constate le phénomène utile, sourit au fantôme de la beauté et se sert de ces apparences brillantes comme d’autant de degrés pour atteindre la vérité. Lorsqu’il a reconnu dans la nature les apparences divines, il leur donne un corps s’il est artiste, et les fixe pour jamais. S’il est sage, il se sert de ces symboles pour guider sa vie. La vertu et le génie dépendent de cette recherche.

Les idées politiques d’Emerson sont peu nombreuses. Un seul principe les explique toutes. Le philosophe américain ne reconnaît pas de bornes à l’influence personnelle. L’état n’existe que pour l’éducation du citoyen. Les institutions, qui ne sont que des essais, l’état, qui n’est pas stable, mais tout au contraire fluide de sa nature, n’ont pas le droit de dominer l’individu. Lois, statuts, institutions, existent simplement pour nous dire : Voilà ce que vous pensiez hier, que pensez-vous aujourd’hui ? L’état doit suivre les progrès du citoyen et non les commander.

Maintenant, quelle est la sanction de la philosophie d’Emerson ? Nous connaissons déjà la sanction rémunératrice, qui est la révélation individuelle. La clause pénale s’appelle compensation. L’ame de l’individu, qui concentre en lui la nature et l’humanité, doit être l’image de l’ordre parfait, de l’unité. Son devoir principal est donc d’y faire régner l’harmonie des facultés, la symphonie des pensées. Il doit établir dans son esprit un complet équilibre, une symétrie régulière. Si sa vie n’est pas réglée par cet équilibre, s’il la laisse pencher plus d’un côté que d’un autre, il en est puni par la compensation. Si nous développons une faculté au détriment d’une autre, nous voyons les choses par fractions et non plus en totalité. Si nous gratifions les sens au détriment du caractère, nous voyons bien la tête de la sirène, mais non pas le corps du dragon. Cette loi de la compensation est visible dans la nature et dans