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la cour des empereurs, ne suffisaient point à établir un lien solide qui maintînt sous le joug d’une même autorité des peuples si différens de mœurs et de langage.

L’exil du pontife en Chine correspond à la seconde période du bouddhisme[1]. Cette période dura depuis le VIIIe siècle jusqu’au XIIIe, et peut être considérée comme l’époque où cette croyance, bien que déchue de sa véritable et primitive grandeur, et par conséquent en voie de décadence, fit le plus de progrès dans l’Asie orientale. La première, la période indienne, avait été toute d’enseignement, de prédication et de combats ; la troisième est la période thibétaine, ou du lamaïsme, qui se continue encore et montre la religion de Bouddha passée dans les mœurs des peuples, mais immobile, stationnaire et languissante.

Tant qu’ils résidèrent dans les états des empereurs chinois, les chefs de la doctrine furent soumis aux vicissitudes qu’éprouva la croyance dont ils étaient l’image et le symbole. Tantôt comblés d’honneurs, élevés au rang de conseillers suprêmes et jouant auprès de ces souverains le rôle de précepteurs spirituels, comme jadis auprès des petits rois de l’Inde, tantôt oubliés, abandonnés même, ils manquaient d’indépendance ; leur histoire est, à vrai dire, celle des dynasties à l’ombre desquelles ils vécurent. Cependant ils se succédaient sans interruption. Sous l’empereur Koublaï-Khan, le pontife, grandissant avec son maître, fut élevé à la dignité de prince, mais de prince tributaire. Le Thibet avait été conquis définitivement par les armées mongoles ; Thibétain d’origine, le lama, qui résidait alors à la capitale de Koublaï-Khan, reçut de celui-ci des terres dans son pays natal, et le chef visible de cette religion errante s’arrêta enfin sur le sommet des monts de l’Asie centrale. Il se trouvait là entre l’Inde, d’où le dogme était parti, et la Chine, d’où un ordre impérial venait en quelque sorte de l’exiler. Peut-être les souverains mongols redoutaient-ils la présence d’un personnage influent sur le peuple et qui se rattachait au souvenir des dynasties légitimes. Ce qui le ferait croire, c’est qu’au XVIIe siècle le grand empereur Khang-Hi, véritable fondateur de la dynastie mandchoue, se trouvant dans des conditions analogues, envoya près du lama un agent pour s’assurer de ses intentions à l’égard des nouveaux conquérans de la Chine.

L’intronisation des lamas au Thibet date donc du XIIIe siècle ; voilà six cents ans qu’ils s’y maintiennent dans une condition tout-à-fait passive. Tour à tour honnis, tourmentés, mis à mort par les rois qui se sont disputé la possession de ces contrées, puis respectés comme une puissance par les empereurs de la Chine, avec lesquels ils échangent des

  1. Les pontifes commencèrent à porter en Chine les titres de grands maîtres et de précepteurs de la loi l’an 705 de notre ère.