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plus en plus tributaire de cet agent, et l’une des plus grandes surprises réservées à nos descendans serait l’audition des concerts-monstres dont M. Andraud croit nous donner une idée bien attrayante en les comparant aux sublimes roulemens du tonnerre. L’honorable inventeur pense aussi à réaliser la navigation aérienne par son moteur universel ; il rêve même quelque peu le mouvement perpétuel, mais cette fois il emploie l’air dilaté par un petit foyer, ou bien, dans ces pays où le soleil se montre généreux jusqu’à l’insolence, par un assemblage de miroirs auquel il donne le nom de fourneau solaire. Du reste, M. Andraud est logique en ce qu’il propose de ne se servir que de roues éoliques et hydrauliques pour comprimer l’air, et regarderait comme purement transitoire l’emploi de la vapeur d’eau comme agent de compression. Telle est enfin sa puissante conviction qu’il s’exprime ainsi[1] : « Que si je porte ma pensée vers l’avenir, j’estime qu’il arrivera un temps où les autorités municipales établiront dans les villes de vastes réservoirs d’air comprimé, où chacun viendra, avec son vase vide, puiser de la force, devenue d’utilité première, comme nous voyons dans Paris les porteurs d’eau emplir leurs tonneaux aux fontaines publiques. La force deviendra marchandise, qu’on fabriquera et qu’on vendra. Il faut qu’on arrive à ce point, que chacun puisse avoir des forces en magasin, comme on a aujourd’hui des chevaux à l’écurie pour le travail du lendemain. » M. Andraud, on le voit, ne pèche point par défaut d’imagination ; malheureusement de toutes ces belles choses, et de bien d’autres encore dont nous ne croyons pas devoir parler, une seule a été réellement soumise à l’expérience. Il s’agissait d’une locomotive à air comprimé, et, si nous ne nous trompons, tout ce qu’elle pouvait faire était de se traîner elle-même. M. Andraud est évidemment un homme de mérite qui fait fausse route, et qui oublie trop qu’en matière d’invention il y a tout un monde d’illusions entre des hypothèses plus ou moins séduisantes et les applications pratiques.

Cette idée d’une locomotive à air comprimé, qui ne serait qu’une très minime partie des merveilles que M. Andraud ferait surgir de l’aérodynamie, avait été émise, pour la première fois, en 1815, par un Bavarois, et reproduite depuis, à plusieurs reprises, dans divers pays. Ainsi nous nous rappelons avoir vu, il y a une dizaine d’années, chez un horloger de Versailles, M. Roussel, une petite voiture de son invention, qu’il faisait mouvoir, d’après le même principe, sur une table circulaire, au centre de laquelle elle était fixée. Tout récemment un membre de l’Académie des sciences de Berlin, M. Crelle, est venu étayer de son autorité ce nouveau moyen d’opérer la traction sur les chemins de fer, qui, selon lui, seront seulement alors exécutables partout et dans tous les cas avec économie. « En ne renonçant pas aux chemins de fer à vapeur, dit formellement M. Crelle, ou en persistant à vouloir se servir des chemins atmosphériques proprement dits, on s’expose à dissiper des millions, qu’on regrettera douloureusement quand peut-être un jour les véritables et justes moyens de perfectionnement viendront revendiquer leurs droits[2]. » De telles paroles, prononcées

  1. De l’Air comprimé et dilaté comme force motrice, par M. Andraud. — Chez Guillaumin.
  2. Mémoire sur les différentes manières de se servir de l’élasticité de l’air atmosphérique comme force motrice sur les chemins de fer, par A.-L. Crelle, membre de l’Académie des sciences de Berlin. — 1846, chez Bachelier.