Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vrai, car, en dépit de ce qu’a écrit Hobbes, l’homme ne naît nulle part ni injuste, ni méchant, et il suffit de parcourir le livre de M. de Beaumont-Vassy pour s’assurer de l’ardeur généreuse avec laquelle les Anglais, au milieu de leurs rudes labeurs, ont réclamé l’affranchissement de l’Irlande, l’émancipation des catholiques et vingt autres réformes équitables, ont applaudi à la voix d’O’Connell comme à la victoire de juillet. Toutefois ils sentent qu’ils ont été placés par la force des choses au sein d’une organisation créée pour s’étendre indéfiniment, pour produire sans mesure, et ils ont accepté cette organisation avec ses conséquences. Là est leur malheur et leur gloire. Il semble que le régime sous lequel ils vivent soit analogue au système développé par Malthus, et que leur machine sociale soit faite pour fonctionner invinciblement suivant la progression que cet économiste attribue à l’accroissement naturel de la race humaine, c’est-à-dire suivant la progression géométrique. Whigs et tories sont d’accord pour guider leur nation dans cette voie, et les efforts que font certains d’entre eux pour l’arrêter sur la pente ne sont rien en comparaison de la rapidité avec laquelle elle s’y engage d’elle-même. En acceptant cette loi de progression, elle a accepté, qui en doute ? des souffrances infinies ; mais avec quel héroïsme ! Voyez-la dompter les élémens et chercher des acheteurs d’un pôle à l’autre ! Voyez-la endurer sans murmure une taxe des pauvres, un income-tax, une dette de vingt milliards, un budget qui en porte deux, et la presse, et une aristocratie oppressive, et tant d’inégalités sociales ! A la vue de tels résultats, comment ne pas excuser son orgueil ? C’est une sorte de grandeur, je le sais, que nous ne comprendrons jamais bien en France, parce qu’il nous semblera toujours plus beau de faire accepter une noble idée d’un peuple voisin que d’aller à six mille lieues forcer des Chinois à consommer pour cent millions d’opium ; mais c’est une grandeur qu’il faut respecter, parce qu’elle renferme en soi un grand triomphe de la volonté humaine.

C’est par les considérations qui précèdent que nous recommandons la lecture de l’ouvrage de M. de Beaumont-Vassy, ouvrage qui est la première partie d’une histoire dans laquelle doit entrer celle de tous les états européens depuis le congrès de Vienne. Ceux qui y chercheront de ces longs raisonnemens et de ces dissertations en forme qui si souvent, dans les ouvrages de notre temps, ne font que répéter ce que personne n’ignore, ne les y trouveront pas. Les généralités sont peu du goût de l’auteur. Peut-être est-il à plusieurs égards d’une sobriété qui tendrait parfois à dégénérer en défaut ; mais, à la vérité, et c’est ce dont nous le louons, il aime mieux laisser les idées éclore et naître des faits naturellement, que de prime-abord mettre en avant des idées soutenues tant bien que mal par des faits. Il donne d’intéressans détails sur la conduite des Anglais dans l’Asie, et sur la situation politique et morale du Canada. On comprend en le lisant, d’après la seule marche des événemens, quelles impérieuses nécessités dirigent la politique de la Grande-Bretagne et entraînent un choc perpétuel de ses intérêts avec ceux du monde entier.

M. de Beaumont-Vassy nous apprend comment l’Angleterre a vécu depuis trente ans ; M. Nougarède de Fayet, dans les lettres qu’il publie, nous apprend comment elle vit aujourd’hui. Ces lettres sont d’une lecture attachante. Il y a toujours tant de choses nouvelles à connaître sur ce pays, sur ses mœurs, ses lois, ses grandeurs, ses misères, ses préjugés, ses besoins ! Nous avons avec lui une communauté de civilisation, d’institutions, de régime industriel, de doctrines politiques et sociales, et cependant quel abîme nous en sépare ! Il y a