Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la maison consacrée aux criminels, elle voulut aussi voir l’asile de la démence. La sultane était voilée ; mais Hakem la reconnut à sa voix, et ne put retenir sa fureur en voyant près d’elle le ministre Argévan, qui, souriant et calme, lui faisait les honneurs du lieu.

— Voici, disait-il, des malheureux abandonnés à mille idées extravagantes. L’un se dit prince des génies, un autre prétend qu’il est le même qu’Adam ; mais le plus ambitieux, c’est celui que vous voyez là, dont la ressemblance avec le calife notre frère est frappante.

— Cela est extraordinaire en effet ! dit Sétalmulc.

— Eh bien ! reprit Argévan, cette ressemblance seule a été cause de son malheur. A force de s’entendre dire qu’il était l’image même du calife, il s’est figuré être le calife, et, non content de cette idée, il a prétendu qu’il était Dieu. C’est simplement un misérable fellah qui s’est gâté l’esprit comme tant d’autres par l’abus des substances enivrantes… Mais il serait curieux de voir ce qu’il dirait en présence du calife lui-même…

— Misérable ! s’écria Hakem, tu as donc créé un fantôme qui me ressemble et qui tient ma place ?

Il s’arrêta, songeant tout à coup que sa prudence l’abandonnait et que peut-être il allait livrer sa vie à de nouveaux dangers ; heureusement le bruit que faisaient les fous empêcha que l’on entendît ses paroles. Tous ces malheureux accablaient Argévan d’imprécations, et le roi des djinns surtout lui portait des défis terribles.

— Sois tranquille ! lui criait-il. Attends que je sois mort seulement ; nous nous retrouverons ailleurs.

Argévan haussa les épaules et sortit avec la sultane.

Hakem n’avait pas même essayé d’invoquer les souvenirs de cette dernière. En y réfléchissant, il voyait la trame trop bien tissée pour espérer de la rompre d’un seul effort. Ou il était réellement méconnu au profit de quelque imposteur, ou sa sueur et son ministre s’étaient entendus pour lui donner une leçon de sagesse en lui faisant passer quelques jours au Moristan. Peut-être voulaient-ils profiter plus tard de la notoriété qui résulterait de cette situation pour s’emparer du pouvoir et le maintenir lui-même en tutelle. Il y avait bien sans doute quelque chose de cela ; ce qui pouvait encore le donner à penser, c’est que la sultane, en quittant le Moristan, promit à l’iman de la mosquée de consacrer une somme considérable à faire agrandir et magnifiquement réédifier le local destiné aux fous, — au point, disait-elle, que leur habitation paraîtra digne d’un calife[1].

  1. C’est depuis, en effet, qu’a été construit le bâtiment actuel, l’un des plus magnifiques du Caire.