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douteux, de mauvais aloi, recherchent le demi-jour et ses illusions. Ceux-ci ne tomberont pas dans le piège. Restent, il est vrai, quelques dilettanti prétentieux qui, s’attachant volontiers aux choses bizarres, aux génies incompris, et tout fiers d’avoir un goût à eux, feignent de se passionner pour ce qui a rebuté le plus grand nombre des juges. Nous ne savons quel prix leurs suffrages peuvent avoir aux yeux de certains écrivains épris d’une gloire exceptionnelle, mais il nous paraîtrait sage de ne les briguer jamais. Tel applaudissement équivaut pour nous à une attestation de mauvais goût, et un homme bien avisé ne se consolera jamais de ces approbations à contresens.

L’époque choisie par Browning pour y placer son second récit semblerait présager un tableau violent des mœurs italiennes au moyen-âge. C’est le moment où l’empire allemand est aux prises avec les communes confédérées de l’Italie, combattant au nom du pape et de l’indépendance nationale. Chacun a pu se faire une idée de ces luttes acharnées entre guelfes et gibelins, où la bourgeoisie des villes, excitée par les évêques, guerroyait contre les nobles, tour à tour soutenus ou réprimés par leur impérial suzerain. On a lu, dans l’érudit ouvrage de Sismondi, sinon dans les vers de Gunther ou dans la chronique d’Otton de Frisingue, les horribles détails de ces révoltes populaires, de ces tyranniques vengeances, qui peu à peu avaient effacé partout l’idée du droit et donné toute licence au crime fier de sa force. En déplorant ces épouvantables vicissitudes, on ne peut en méconnaître le caractère vivant, animé, pittoresque. Ces cités qui marchent au combat, emmenant avec elles, en guise de palladium, leur carroccio surmonté de l’image du Christ en croix, et l’étendard de la ville entre deux voiles blanches ; ces empereurs qui reviennent de la croisade, suivis de bandes sarrasines, et lancent les soldats de Mahomet contre les troupes du pape ; Rome, s’efforçant de renaître à la vie républicaine, et plaçant un patrice à la tête du sénat ; les noms même de tous ces prétendans qui se heurtent et se mêlent dans l’arène sanglante : Barberousse, Henri-le-Lion, Ezzelin-le-Féroce, donnent un cachet singulier à ces guerres acharnées. Ajoutez que tout alors est symbole, image, et amuse l’œil. Va-t-on réclamer justice, on se présente portant la croix. L’empereur, entrant en Italie, devait faire halte dans la plaine de Roncaglia : tous les chevaliers tenant fief de l’empereur, convoqués par le héraut de la cour, devaient se trouver dans la plaine autour d’un bouclier attaché à un poteau de bois ; tous, ainsi que leurs feudataires nobles, devaient garder le prince pendant la première nuit. Le lendemain on faisait un appel, et quiconque avait manqué à ce devoir d’honneur était dépouillé de son fief. On n’en finirait pas à énumérer toutes les curiosités de ce temps ; toutefois nous ne conseillerons jamais de les aller chercher dans Browning. Ce n’est pas qu’il les ignore : son érudition est au contraire surabondante ;