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« Mensonge, tout est mensonge ! s’écrie-t-elle ; leurs prêtres, leur pape, leurs saints, leur tout ce qu’ils redoutent, tout ce qu’ils espèrent, mensonges, infâmes mensonges !… Point de ciel avec eux ; avec eux point d’enfer. Et sur terre, avec eux, pas un recoin, fût-ce l’horrible cachot où mon corps est prisonnier, si je n’y puis crier vers Dieu et les hommes : — Ils mentent, ils mentent ! Encore une fois ils mentent[1] ! »

Les plus longs de ces petits poèmes sont presque toujours des narrations, des légendes, et presque toujours aussi le poète s’y efface pour laisser parler un des personnages fictifs qu’il évoque. Par exemple, s’il veut raconter l’histoire de ce chevalier qui, sur l’ordre de sa dame, alla chercher le gant qu’elle avait jeté dans une fosse habitée par des lions, Browning n’hésitera pas à faire intervenir notre poète Ronsard, comme truchement, entre lui et ses lecteurs. Ces fictions multiplient pour le poète les chances de manquer aux convenances du sujet. Nous savons bien que peu d’Anglais ont lu le poète vendômois, encore qu’il ait passé deux ans de sa vie au service de Jacques Stuart, et que l’infortunée reine Marie, qui se rappelait l’avoir eu à sa cour, envoyât des rosiers d’argent à celui qu’elle nommait « l’Apollon de la source des Muses ; » mais enfin, la légende de Browning venant à passer sous les yeux de gens à qui l’ancienne poésie française n’est pas étrangère, on pourrait rapprocher avec quelque surprise cette muse

… gâtant par son français
Des Grecs et des Latins les graces infinies

des vers que lui prête le poète anglais. Lisez l’ode à la Rose, ou l’Institution pour l’adolescence de Charles IX ; puis, sans ménager la transition, passez à l’histoire du Gant, telle que Browning l’a rimée. Le contraste est vraiment gai.

« Hélas ! disait un jour en bâillant le roi François, l’éloignement donne du prix à tout. Qu’un homme ait mille affaires sur les bras, la paresse lui semble avoir de merveilleuses douceurs. Oui, mais une fois qu’il a tout loisir, il ne demande plus que de nouveaux soucis. A peine avons-nous la paix depuis quelques jours, et je me prends à songer que la guerre est le seul vrai passe-temps. Les vers m’expliqueront-ils ceci, maître Pierre ? Voyons ce que vous aurez à nous dire.

  1. It is a lie - their Priests, Their Pope,
    Their saints, their… All they fear or hope
    Are lies, and lies…
    No part in aught they hope or fear
    No Heaven with them, no Hell, — and here
    No Earth, not so much space as pens
    My body in their worst of dens
    But shall bear God and Man, my cry, —
    Lies, — lies, again, — and still, they lie !
    (Dramatic Romances and Lyrics. — Spain, the Confessional, p. 11.)