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le bel exemplaire de l’Iconographie grecque donné par M. le duc d’Orléans. Ce souvenir du prince me fit éprouver une profonde émotion dans un lieu où les émotions sont si facilement vives et austères. Le couvent reçoit chaque année cent cinquante mille pèlerins.

L’industrie n’a que peu pénétré dans le canton de Schwitz. Les populations y sont occupées aux travaux des champs et au soin des troupeaux. Les habitans de Schwitz sont fiers, guerriers, facilement irritables. Un de leurs plus distingués compatriotes, M. le colonel Abyberg, peut être cité comme un modèle remarquable du caractère national. M. Abyberg ne passe pas pour l’adversaire timide des radicaux. Il a servi en France sous la restauration, et a épousé une Espagnole dans notre expédition de 1823. Lui et l’abbé Schmidt sont au nombre des hommes les plus influens de la Suisse et de ce canton.

Il n’y a pas bien long-temps encore que les vingt-deux cantons confédérés s’accordaient à nommer l’opinion d’Uri la conscience de la Suisse. Un si flatteur hommage était dû à la haute moralité, à la droiture d’esprit et de cœur des habitans de ce pays. On peut donc dire aujourd’hui que la conscience de la Suisse proteste énergiquement contre les perturbations que le radicalisme prétend introduire dans la constitution fédérale après avoir déjà altéré et changé tant de constitutions particulières. Uri ne se départira jamais de son attachement aux traditions historiques, à la vieille foi religieuse et à cette indépendance cantonale dont les petits cantons ont dû, à toute sorte de titres, croire qu’ils auraient la pleine jouissance, lorsqu’ils consentirent, en 1815, à renouer les liens de l’ancienne confédération.

Depuis 1832, M. le landamman Schmidt est nommé chaque année député du canton d’Uri. Il apporte dans les délibérations de la diète, où il est autant aimé qu’estimé, une juste mesure de parole et de conduite qui ne l’a jamais empêché de déployer, quand les circonstances l’ont voulu, la fermeté la plus honorable. La majorité l’a fréquemment admis dans les commissions toutes les fois qu’il était nécessaire ou convenable que la minorité y fût représentée. M. le landamman Schmidt a plus d’une fois, avec son calme imperturbable et sa douceur un peu ironique, rappelé le fougueux M. Neuhauss au souvenir de sa propre dignité. On m’en a rapporté plusieurs exemples ; voici un seul trait que je citerai d’après un témoin oculaire. M. Neuhauss, qui était alors dans tout l’éclat de sa popularité, venait de prononcer un discours long et violent. Comme il avait l’habitude de ne jamais écouter les réponses de ses adversaires et de se promener dans la salle d’un air dédaigneux sans paraître se soucier d’aucune contradiction, le député d’Uri, qui prétendait à plus d’égards, se leva et dit : « J’aurais un certain nombre d’argumens et de faits à opposer au discours du député de Berne ; mais, comme je sais bien qu’il ne m’écouterait pas, je m’abstiendrai de parler. »