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tsars. Si le succès n’est point complet, du moins les résultats obtenus sont-ils satisfaisans[1].

Bien que les colonies militaires des deux empires, plus connues que leurs colonies civiles, offrent un plus grand intérêt pour notre curiosité politique, elles n’ont point pour nous la même importance économique. Dans ces vastes fondations qui ont rendu naguère d’éminens services à l’Autriche, et dont la Russie est fort éprise, on s’est proposé de part et d’autre un but distinct. L’Autriche a colonisé sur ses frontières, pour les mettre en état de se défendre elles-mêmes contre les agressions incessantes des Turcs ; la Russie a colonisé pour fortifier son système militaire, sans faire peser de nouvelles charges sur ses revenus.

Pierre-le-Grand, à qui remontent toutes les traditions de la Russie moderne, avait, il est vrai, conçu la pensée d’institutions militaires destinées à protéger

  1. Nous avons sous les yeux un document inédit sur cette colonisation civile, beaucoup moins connue en Europe que la colonisation militaire. Voici d’après cet écrit, dû à un agent diplomatique étranger qui a résidé plusieurs années dans la Russie méridionale, les obligations qui ont été imposées par le gouvernement aux grands concessionnaires, et les avantages qu’il leur a faits : « Ils devaient élever dans un temps donné un nombre d’animaux domestiques déterminé d’après l’étendue de leur propriété. Ainsi, à l’expiration d’un terme de dix ans, ils devaient présenter un cheval ou une pièce de bétail adulte pour chaque portion de terrain de dix décétines, ou une brebis de race fine par chaque décétine. Si cette condition était remplie, le concessionnaire recevait un acte de propriété valable pour quatre-vingt-dix ans ; si la même industrie était continuée cinq ans de plus, l’acte de propriété devenait définitif, et le concessionnaire pouvait disposer de son bien à sa guise ; mais si au bout de dix ans les conditions restaient sans exécution, la terre devais faire retour à la couronne, et le concessionnaire était tenu à une indemnité pour le bénéfice de ses dix ans d’occupation. » L’auteur ajoute qu’il n’a connaissance d’aucun exemple de terres revenues ainsi à la couronne. « Cette obligation de l’élève des bestiaux est, continue-t-il, une des principales causes de la prospérité des grands concessionnaires. Un capitaine, qui avait reçu en 1796, par la faveur de son général, une propriété de douze mille décétines, et qui l’eût volontiers cédée alors pour 10,000 francs, possédait en 1826 4,000 moutons, 800 chevaux, 1,000 pièces de bétail, 150 familles de paysans, et une vingtaine de mille francs en argent… Quant aux concessionnaires non nobles, qui sont en très grande majorité des étrangers allemands ou bulgares, ils ont reçu du gouvernement d’abord une légère somme pour leurs frais de voyage, des maisons, du bétail et des instrumens de culture. La valeur de ces dédommagemens et de ces avances pouvait s’élever à 1,200 francs par maison. Le gouvernement accorda quinze ans pour le remboursement sans intérêt, lequel dut se faire à partir de ce terme par sommes annuelles de 28 francs 55 centimes. »
    Les établissemens coloniaux de la Russie méridionale ont une administration spéciale qui porte le nom de Comptoir des colonies. Les affaires se traitent dans la langue des colons, et les actes sont ensuite traduits en russe pour l’usage du gouvernement. Une société d’agriculture, fondée depuis vingt ans à Odessa, publie un bulletin en langue russe et un journal en allemand pour les colons, sous la protection et avec le concours de l’administration des domaines. Cette société a pour but de rechercher le système de culture le mieux approprié à un sol vierge et à un climat capricieux. « Et la méthode pratiquée partout avec succès, est-il dit dans le mémoire que nous avons cité, se réduit à trois grands principes : labourer à toute la profondeur possible, semer tôt et semer clair. » L’auteur de cet écrit pense que les procédés d’exploitation et de culture employés dans les steppes 4e la Russie méridional, pourraient l’être avec le même avantage en Algérie.