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public et la certitude positive que ses services, quels qu’ils puissent être, sont désirés et jugés essentiels dans le plus haut lieu et par tous ceux avec qui, en conséquence des arrangemens qu’on formerait sur cette base, il pourrait avoir à agir confidentiellement. Son opinion bien arrêtée est que, dans cette supposition, il ne pourrait avoir aucune chance d’appliquer ses propres idées sur la manière d’être utile au pays par rapport à un des grands objets auxquels il attache une importance capitale qu’en reprenant la direction de ses finances. Outre cette considération, il a établi, en termes tout aussi décidés et tout aussi positifs, sa conviction de la nécessité absolue que, pour conduire les affaires, il y ait un ministre réel, avoué, possédant le poids principal dans le conseil et la première place dans la confiance du roi, en sorte qu’il ne puisse y avoir ni rivalité ni division dans le pouvoir. Ce pouvoir doit résider dans la personne généralement appelée premier ministre, et ce ministre doit, à ce qu’il pense, être celui qui dirige les finances. »

Le sens de cette lettre était clair : elle disait assez expressément, dans sa phraséologie pénible et embarrassée, que Pitt, loin de se contenter de l’égalité apparente et de l’infériorité réelle de position que lui offrait Addington, ne voulait rentrer au ministère qu’en maître absolu, tel qu’il l’avait été jadis. Addington espéra le satisfaire par quelques concessions. Ils eurent chez un ami commun une conférence qui, comme il était facile de le prévoir, ne produisit aucun résultat. Pitt voulait ramener avec lui dans le conseil tous ses adhérens principaux ; Addington prétendait naturellement exclure ceux qui, depuis deux ans, n’avaient cessé de lui faire une guerre acharnée. L’aigreur s’en mêla. Une correspondance s’engagea entre eux à l’effet de constater par écrit les circonstances de cette entrevue sur lesquelles il commençait à courir des bruits contradictoires, et Pitt y porta une amertume hautaine qui changea ce dissentiment en une véritable rupture. Des pamphlets écrits par les partisans de ces deux hommes d’état, et dont les amis de Pitt eurent le tort de prendre l’initiative, aggravèrent la querelle en la rendant publique. La querelle éclata dans le parlement même. Sur ces entrefaites, la guerre avait recommencé contre la France. Napoléon, qui n’avait pas alors d’autres ennemis que l’Angleterre, faisait des préparatifs formidables pour envahir le territoire britannique. L’Angleterre, ainsi menacée sur son propre sol, rassemblait toutes ses forces pour lui opposer une résistance désespérée. Le parlement n’avait presque plus d’autres préoccupations. L’appréciation des mesures prises ou proposées par le cabinet pour organiser cette résistance, pour y faire concourir utilement les populations qui s’empressaient d’offrir le secours de leurs bras, était le fond de toutes les discussions. Dans ces débats, en quelque sorte techniques, le cabinet semblait souvent avoir l’avantage ; tenant entre ses mains tous les ressorts de l’administration, il pouvait combattre par des calculs précis, par des faits positifs, les