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hypothèses de ses adversaires ; mais on sentait que ce n’était pas là la véritable, la grande question. La pensée qui planait sur ces débats et qu’exprimaient distinctement les discours d’un certain nombre d’orateurs, c’est qu’au moment d’engager une lutte dont devait dépendre l’existence même du pays, le peuple anglais ne pouvait laisser ses destinées entre les mains de ministres relativement faibles et médiocres, alors que chacun des grands partis qui divisaient la nation et le parlement avait à sa tête des chefs en qui la vigueur du caractère égalait la puissance du génie. Comme le disait Canning avec une verve dont la hardiesse en apparence paradoxale couvrait une vérité profonde, le choix des mesures importait peu en comparaison de celui des hommes qui auraient à les appliquer.

Cependant Addington et ses collègues ne se montraient nullement disposés à céder la place. L’ancienne opposition, celle qui suivait la bannière de Fox, leur avait déjà retiré l’espèce d’appui ou plutôt la tolérance qu’elle leur accordait naguère, lorsqu’elle voyait en eux les représentans d’un système de paix extérieure conforme à sa politique. Pitt leur était devenu hostile, et cependant ils restaient debout. Deux causes leur donnaient momentanément la force. L’une, c’était la faveur du roi, dont on avait excité contre Pitt les jalouses défiances, en lui présentant comme une tentative d’empiétement sur son autorité les conditions que cet homme d’état avait voulu mettre à sa rentrée au ministère. L’autre cause tenait à cette médiocrité même des ministres, qui, comme je l’ai expliqué, leur assurait dans la chambre des communes de nombreuses sympathies. Ces propriétaires campagnards (country gentlemen), qui y forment habituellement la masse du parti conservateur, et que Pitt avait si bien disciplinés, se tournaient maintenant contre lui, étonnés, indignés de ce qu’il faisait à son tour de l’opposition ; ce n’était pas sans un complaisant retour d’amour-propre qu’ils voyaient des hommes placés à peu près à leur niveau tenir tête à ceux qu’ils s’étaient habitués à considérer comme des géans ; un instinct personnel les portait à se ranger, dans cette lutte, du côté des talens les moins éminens. Il est curieux de voir, dans les lettres de félicitation et d’encouragement qu’Addington reçut à cette époque, et dont plusieurs nous ont été soigneusement conservées par son biographe, l’expression naïve des sentimens qui lui ralliaient ainsi les vœux et les suffrages d’une partie considérable de la nation et du parlement. Un de ses correspondans lui dit que le peuple ne croit plus à la nécessité d’une éloquence éclatante pour soutenir le gouvernement. Un autre l’assure que, s’il vient malheureusement à succomber sous les attaques de ses ennemis, la nation est perdue sans ressource. Un troisième (c’est le fameux Warren Hastings lui déclare que, s’il rencontre dans la chambre des communes de nombreux adversaires, le peuple est pour lui ; que ce