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écrivit à lord Exmouth, son correspondant le plus habituel à cette époque : « J’aime mieux, y disait-il, voir ce bill destructeur passer à l’aide d’un abus inconstitutionnel et flagrant de la prérogative royale qu’aux dépens de l’honneur, de la considération et de la réputation de consistance de la chambre des lords. Je ne contribuerai donc pas à dispenser lord Grey de faire une mauvaise action en en faisant une moi-même. »

Ce fut le dernier acte de la vie politique de lord Sidmouth. Il avait alors soixante-quinze ans. Pendant les douze années qui s’écoulèrent encore jusqu’à sa mort, survenue le 15 février 1844, il ne sortit presque plus de sa paisible retraite, et à peine le vit-on siéger quelquefois au parlement. Ses amis, les hommes qui avaient si long-temps conduit avec lui les affaires du pays, disparaissaient l’un après l’autre. Lui et le petit nombre des survivans, ils étaient devenus presque étrangers à la génération actuelle. La cause dont ils avaient cru, trente ans auparavant, assurer à jamais le triomphe était définitivement vaincue. L’émancipation catholique, la réforme parlementaire, d’autres réformes encore d’une importance plus grande peut-être en réalité, quoique moins éclatante, attestaient la puissance irrésistible des idées qu’ils avaient espéré faire reculer pour toujours. Et ce n’était pas seulement en Angleterre que s’écroulait l’édifice jadis restauré ou affermi par leurs mains. La révolution de France, celle de Belgique, celle d’Espagne, les mouvemens auxquels était livrée une grande partie du continent, leur montraient partout l’esprit nouveau renversant ou altérant profondément l’ancienne organisation de l’Europe. Par une illusion bien naturelle, ces vieillards, se reportant aux souvenirs de leur jeunesse et de leur âge mûr, croyaient voir dans ce qui surgissait ainsi autour d’eux l’ancien ennemi auquel ils avaient jadis livré tant de combats. Les réformistes leur apparaissaient comme les descendans directs de ces démagogues forcenés dont Pitt et plus tard lord Sidmouth avaient eu tant de peine à contenir les fureurs. Le spectre de la France républicaine et impériale, évoqué par leur imagination épouvantée, leur cachait la physionomie tout à la fois pacifique et légale de la révolution de juillet. Ils ne savaient pas que tout était changé, que l’expérience et la lassitude avaient transformé peu à peu les opinions et les partis, ou plutôt avaient créé, sous des noms et des formes semblables, des combinaisons absolument différentes de celles du passé, que, le cercle des théories et des prétentions extrêmes ayant été, de part et d’autre, parcouru, le temps des transactions était enfin arrivé pour tout le monde, et qu’il n’y avait plus de chances de succès que pour les termes moyens, de quelque apparence qu’on se crût obligé de les décorer.

Lord Sidmouth vécut assez pour voir rentrer dans son lit le torrent dont les débordemens lui avaient inspiré de si vives frayeurs. Lorsqu’il mourut, l’Europe jouissait d’une paix profonde, les whigs étaient