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redevenus impopulaires, et les tories, usant habilement de cette loi électorale qui paraissait naguère devoir les exclure à jamais du pouvoir, avaient reconquis, avec la majorité dans la chambre des communes, le gouvernement de l’Angleterre. Il est vrai que ces tories, déguisés sous le nom de conservateurs, ne ressemblaient plus guère à ceux de la génération précédente, et lord Sidinouth devait éprouver peu de sympathie pour l’ardeur réformiste de ce Robert Peel qu’il s’était félicité, vingt ans auparavant, d’avoir pour successeur. Si son existence s’était prolongée de quelques mois seulement, s’il eût été témoin de l’abolition des lois relatives aux céréales, de cette législation essentiellement aristocratique qu’il avait contribué à fonder, sans aucun doute, il eût partagé l’indignation que ressentirent contre l’auteur de cette espèce de révolution ceux même qui l’avaient jusqu’alors reconnu pour leur chef, et, encore une fois, il aurait cru à la ruine de l’Angleterre.

Telle fut la carrière de lord Sidmouth, moins remarquable par ses qualités personnelles que par la grandeur des événemens auxquels il s’est constamment trouvé mêlé. L’histoire de sa vie est, en quelque sorte, celle du torysme dans une de ses phases les plus importantes et les plus caractéristiques ; c’est l’histoire de l’Angleterre elle-même pendant un demi-siècle signalé par des changemens et des péripéties qui auraient suffi à remplir des siècles entiers. Un des nombreux enseignemens qu’elle nous donne, c’est que, sous un régime de liberté et de publicité, des hommes d’une capacité médiocre, doués d’une volonté opiniâtre et de convictions énergiques, peuvent, dans certaines circonstances, non-seulement arriver au pouvoir, mais s’y maintenir long-temps et même y marquer leur passage par d’éclatans triomphes. Cela ne veut pas dire qu’ils arrivent à la gloire ; l’opinion publique ne confond pas, comme on l’en accuse si souvent, le succès immédiat avec le talent. Pitt, mourant de douleur sur les ruines de la troisième coalition qu’il avait organisée contre la France, est compté parmi les plus grands hommes de son pays, et ses successeurs, malgré l’étonnante fortune qui les a rendus les vainqueurs de Napoléon, qui, sous leur règne, a élevé si haut la puissance de la Grande-Bretagne, se distinguent à peine dans la foule des ministres vulgaires.


L. DE VIEL-CASTEL.