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À mes heures de loisir, les dimanches surtout, j’aimais à me retirer dans la vaste et poudreuse bibliothèque du cloître, et à fouiller des archives ignorées des moines eux-mêmes. Deux livres entre autres, auxquels le milieu dans lequel je les lisais prêtait un charme étrange, m’avaient captivé complètement : l’un était un recueil de légendes merveilleuses, l’autre la collection des autos de fé ordonnés par l’inquisition mexicaine. Je m’oubliais souvent à les compulser. Ces atroces récits, que l’impassible chroniqueur terminait toujours par la formule sacramentelle : Laus Deo, finissaient, lorsque le jour baissait, par exercer sur moi une singulière fascination. Les sons lointains de l’orgue, les chants lugubres des moines, venaient parfois ajouter au prestige, et, dans l’ombre mystérieuse qui déjà envahissait la salle, je voyais apparaître les héros des légendes ou les victimes de l’inquisition. Quand je sortais de la bibliothèque pour me promener sous les cloîtres, les moines que je rencontrais dans les corridors assombris ne ressemblaient nullement à ceux que je voyais compromettre si gaiement la dignité du froc dans les rues de Mexico. La population des couvens est double : il y a des religieux encore assez jeunes pour tenir gaiement leur place à une table de monte ou dans une tertulia : ceux-ci ne sont presque jamais dans leurs cellules ; il y en a d’autres auxquels l’âge et les infirmités interdisent les distractions mondaines : ces derniers forment la population sédentaire, toujours peu nombreuse. Parmi les moines que je rencontrais dans les corridors de San-Francisco, il en était un surtout qui me semblait personnifier la vie claustrale avec tout son cortége de pratiques austères et de secrètes douleurs. C’était un vieillard au crâne luisant et jaune, aux yeux brillans d’un feu sombre sous le capuchon bleu ; une sorte de terreur se mêlait à la curiosité qu’il m’inspirait : on eût dit qu’une des mornes figures multipliées sur les murs du couvent par le pinceau des Rodriguez, des Cabrera et des Villalpando, était descendue de son cadre, animée d’une vie passagère.

Parfois aussi j’aimais à méditer dans le jardin, car la disposition d’esprit où je me trouvais durant mon séjour à Mexico était clé celles qui font rechercher la solitude. Depuis mon arrivée au Mexique, les années s’étaient ajoutées aux années, et je commençais à ressentir de sourdes atteintes de nostalgie. La constante sérénité d’un ciel qui n’était pas celui de la France ne faisait que redoubler ma tristesse. J’en étais venu à regretter, au milieu de la riche végétation du Nouveau-Monde, les violettes et les lilas, ces deux odorans symboles de la jeunesse qui s’épanouit et qui espère ; je me demandais tristement pourquoi Dieu avait