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tantôt une exaltation fanatique, me rappelait tout ensemble les légendes merveilleuses et les récits lugubres que je lisais dans la bibliothèque du couvent. Devais-je m’en tenir à des conjectures sur ce singulier personnage ? Désespérant de l’amener jamais à rompre le silence avec moi, je résolus de questionner à son sujet fray Serapio, et c’est avec l’espoir de rencontrer le joyeux franciscain que je me dirigeai, un jour de la semaine sainte, vers une des plus riantes promenades des environs de Mexico, le canal de la Viga. Le désir d’apprendre l’histoire du moine inconnu était le principal motif de cette excursion, mais, chemin faisant, je devais recueillir sur les superstitions religieuses du Mexique plus d’une révélation que je ne cherchais pas.


II.- LE CANAL DE LA VIGA

De tous les points de la campagne de Mexico, nul n’offre un aspect plus différent, selon les saisons de l’année, que le canal de la Viga ; nul n’est tour à tour plus solitaire ou plus peuplé, plus bruyant ou plus silencieux. Ce canal, qu’alimentent les eaux de la lagune de Chalco, a environ huit lieues de long, il sert de voie de transport et de communication entre la ville qui a donné son nom à la lagune et Mexico. Une large et spacieuse chaussée, plantée de trembles et de peupliers, longe ces eaux dormantes, qui ne mêlent aucun murmure au bruit du feuillage. Si le promeneur qui suit cette chaussée n’apercevait à quelque distance les bâtimens du cirque des taureaux, et plus loin les tours de la cathédrale qui bordent l’horizon au pied des deux volcans, il pourrait se croire à cent lieues de Mexico. Quelques maisons de campagne dont les habitans sont presque toujours invisibles, les allées désertes de la Candelaria, chaussée rivale de celle de la Viga, des lagunes jetées çà et là au milieu d’une verdure humide, sur ces lagunes des chinampas[1] flottant comme de vastes corbeilles, quelques cabanes disséminées de vaqueros, puis une enceinte de collines dominée par la sierra, tels sont les principaux détails du paysage. Quant aux scènes qui l’animent, elles sont toutes d’accord avec la placidité de ce tableau tantôt c’est une pirogue qui glisse sans bruit sur les eaux du canal, tantôt ce sont des Indiens agenouillés sous quelque arceau de feuillage, devant un Christ qu’ils ornent de fleurs, et aux pieds duquel ils déposent leur offrande, à moitié païenne, d’oranges et de grenadilles. Les battemens d’ailes d’une aigrette qui plane au-dessus des eaux ou se perd

  1. Les chinampas sont des jardins flottans formés par l’agrégation successive de molécules terrestres sur les couches d’herbes aquatiques. La couche végétale de ces îlots atteint parfois l’épaisseur d’un demi-mètre.