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dans l’azur du ciel comme un flocon d’écume, les abois de quelques chiens errans, troublent seuls le silence qui règne sous les frais ombrages de la chaussée.

A l’approche des fêtes de Pâques, l’aspect de cette promenade change complètement. Pendant les dimanches du carême, une foule bruyante l’envahit. La population de Mexico s’y donne rendez-vous. Le jour où je m’étais dirigé vers le canal était précisément le dernier dimanche du carême. Au moment où j’arrivais sur la chaussée, les promeneurs habituels du Paseo et de l’Alameda se pressaient dans les allées de la Viga ; mais ce ne fut pas cette cohue brillante qui attira surtout mon attention, ce fut le canal même. Ce jour-là, les roseaux si tranquilles de la rive ondulaient et s’entrechoquaient sous le remou continuel des eaux, agitées et fendues par une flottille d’embarcations. Des lanches, des canots, des pirogues, s’entrecroisaient partout, les unes portant à Mexico, pour la semaine sainte, des montagnes de fleurs qui laissaient en passant des traînées odorantes, les autres suivant ces cargaisons embaumées. Sur ces dernières, de joyeux navigateurs, couronnés de coquelicots et de pois de senteur, exécutaient en voguant les danses nationales au son des harpes, des flûtes et des mandolines. Des femmes à peine vêtues jetaient au vent, avec des gestes ardens, les œillets pourpres de leur coiffure et les refrains de leurs lascives chansons. Rien ne manquait à ces théories modernes pour rappeler les théories antiques, ni la limpidité du ciel, ni l’éclat des costumes, ni l’harmonie du langage. Tandis que les eaux du canal, transformées en un tapis de fleurs, n’offraient de tous côtés qu’un va-et-vient perpétuel de canots incessamment croisés, des groupes nonchalamment couchés sur la berge saluaient de la voix ou du geste chaque embarcation qui passait ; de bruyans défis s’échangeaient mêlés à de joyeuses clameurs. Plus loin, sous les vertes arcades des trembles, sur la chaussée ébranlée par le fracas des voitures et le galop des chevaux, le monde élégant de Mexico avait transporté le décorum des salons. Cependant des groupes d’ardens et sauvages cavaliers, vêtus du costume national, traversaient quelquefois cette foule parée, comme pour protester par leurs fougueuses allures contre le maintien raide des dandies habillés à la française. En un mot, sur le canal, c’était l’Amérique du XVIe siècle enivrée de son beau soleil ; sur la chaussée, c’était l’Amérique du XIXe siècle cherchant à modeler sa physionomie native sur le type effacé de l’Europe. Les Européens rendent d’ailleurs à l’Amérique politesse pour politesse, et ils affectent parfois de venir à la Viga sous le costume mexicain ; mais sous leurs habits d’emprunt on a bientôt reconnu l’Anglais, l’Allemand ou le Français. Je dois ajouter cependant que nos compatriotes du midi se distinguent entre tous les étrangers par l’aisance avec laquelle ils portent