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mais celui-ci déclina cet honneur, et contribua de tous ses efforts à la réélection de Prieto.

Quelques mois après survint avec le Pérou et la Bolivie une rupture qui eut de graves résultats. Le général Santa-Crux, renouvelant une ancienne idée de Bolivar, avait uni, par une confédération dont il était le chef, le Pérou et la Bolivie. Il rêva bientôt un pouvoir plus étendu. Santa-Crux avait momentanément donné la paix au Pérou, depuis long-temps en proie à la guerre civile, et il espérait, en fomentant des troubles au Chili[1], faire désirer, au milieu des tumultes et des désordres, l’intervention de son génie pacificateur. Il commença d’abord par accueillir les exilés chilenos, puis il leur prêta des armes et mit à leur disposition des navires de guerre. Le général Freire, à la tête de ces proscrits, fit une descente à Chiloë. Portalès sut défendre son pays comme il avait su le gouverner ; il vint bientôt à bout des révolutionnaires, et la république du Chili déclara la guerre à Santa-Crux.

On organisa l’armée à Quillota, près de Valparaiso ; mais cette armée recélait dans son sein la trahison. Elle était à la veille de se rendre au port, des navires l’attendaient pour la conduire au Pérou, et Portalès, ministre de la guerre, passait une dernière revue, lorsque le complot éclata. Quatre compagnies sortirent des rangs et forcèrent le ministre à remettre son épée. La stupeur fut telle en ce moment, que personne ne bougea. Une révolution était faite. Heureusement les discordes civiles ne peuvent durer long-temps au Chili. Bientôt un grand nombre de désertions affaiblit le parti des révolutionnaires, qui avaient pour chef le colonel Vidaurre. Celui-ci fit néanmoins intimer avec menace à Valparaiso l’ordre de se rendre et marcha sur la ville, entraînant à sa suite le ministre captif. Le gouverneur de Valparaiso se mit aussitôt en campagne, aidé par le général Blanco et encouragé par l’opinion publique. Le chemin qui mène de Valparaiso à San-Iago se resserre à un certain endroit entre les montagnes qui le dominent et la mer. C’était une position facile à défendre. Les gardes nationaux et quelques forces légères maritimes se postèrent en ce lieu, décidés à disputer vaillamment le passage aux troupes du colonel Vidaurre. Déjà ces troupes s’approchaient. La nuit qui était venue, nuit d’hiver au Chili[2], allait voir s’accomplir un terrible drame. A l’arrière-garde du corps de Vidaurre s’avançait un birlocho[3] bien escorté. Quand les premiers pétillemens de la fusillade annoncèrent que les avant-postes avaient entamé l’action, le birlocho s’arrêta. Un homme en descendit enveloppé dans son manteau

  1. Telle est du moins l’opinion dominante dans le pays.
  2. On était en juin, c’est-à-dire dans la mauvaise saison, qui dure d’avril à septembre.
  3. Sorte de cabriolet.