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des haciendas (propriétés rurales) est considérable, surtout dans les provinces du nord et du sud, qui sont moins peuplées que celles du milieu. Une riche hacienda possède ordinairement dix mille têtes de bétail, quelques-unes en contiennent le double. Or, les travaux d’une hacienda de quatre mille bestiaux nécessitent au moins cent chevaux et cent cinquante jumens. Ceci donnera une idée de la quantité de bestiaux répandus sur le territoire de la république, car nous ne parlons pas du menu bétail ; le mouton, par exemple, est si commun au Chili, qu’il se vend au plus vil prix sur les marchés.

Énumérer les opérations d’une hacienda, ce sera faire connaître à peu près la vie laborieuse des campagnards du Chili sous toutes ses faces. Les quatre grandes opérations de l’hacienda sont : les rodeos, la trilla, la matanza et la vendimia. On nomme rodeos la réunion faite au printemps de tous les animaux dispersés sur l’hacienda. À cette époque, plusieurs centaines de cavaliers poussent devant eux les troupeaux innombrables qu’on rassemble d’abord pêle-mêle dans un enclos immense entouré de pieux. Ce spectacle est à la fois curieux et grandiose. L’enclos se remplit comme si une mer vivante s’y précipitait après avoir rompu ses digues. Le guasso triomphe au milieu de cette mêlée furibonde, c’est alors qu’il se sent roi, et qu’il regarde avec pitié l’habitant des villes ou le voyageur européen que la curiosité attire aux rodeos. Les différentes espèces d’animaux sont chassées par les guassos de l’enclos commun dans des enclos plus petits ; on marque au fer rouge les veaux, les génisses, les poulains nouveaux, et l’on sépare le vieux bétail en deux troupeaux, dont l’un est destiné à l’engorda (engraissement), l’autre à la matanza (abatage). Lorsque les bestiaux sont engraissés de façon à pouvoir donner cinquante kilogrammes de suif, on les considère comme bons pour la matanza, qui constitue le second travail de l’hacienda. Ils sont alors conduits dans les ramadas, sortes de hangars couverts, où, après les avoir abattus, on les dépèce. Une partie de la chair approvisionne les marchés du pays ; l’autre partie, salée, séchée au soleil, est dirigée, sous le nom de charqui, vers le nord du Chili, où la terre est peu fertile et où les mines occupent un nombreux personnel. Les suifs et les peaux s’exportent à l’étranger.

La trilla comprend les travaux de la moisson. Lorsque le blé est fauché, on l’éparpille jusqu’à une certaine hauteur dans une vaste grange circulaire ; les jumens y sont introduites, courent sans relâche sous le fouet et piétinent en tous sens la paille pour en faire choir le grain. La vendimia ou la vendange est la dernière des grandes opérations de l’hacienda. Dès qu’on a foulé le raisin, on fait bouillir un premier jus dans une chaudière, et, quand il a pris la consistance du sirop, on le verse dans d’énormes jarres de terre, jusqu’à la hauteur d’un quart,