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il est aussi objectif : il donne et reçoit. Si le type de la beauté existe dans son esprit à l’état d’idéal ; il prend à la nature les signes dont il a besoin pour les exprimer. Ces signes, il les transforme : il y ajoute et il en ôte, selon le genre de sa pensée, de telle sorte qu’un objet qui, dans la réalité, n’exciterait aucune attention ; prend de l’importance et du charme étant représenté ; car les sacrifices et les mensonges du peintre lui ont donné du sentiment, de la passion, du style et de la beauté. Tous les jours, on voit des vaches dans des prairies, des ponts ruinés, des animaux qui passent des ruisseaux à gué, et l’on n’y prend pas garde : d’où vient que ces mêmes choses, sous le pinceau de Paul Potter, de Karel du Jardin, de Berghem, vous arrêtent et vous séduisent ? Est-ce la vérité de l’imitation qu’on admire ? Nullement ; les tableaux les plus vrais n’ont jamais fait illusion à personne, et l’illusion n’est pas le but de l’art. Sans cela, le chef-d’œuvre suprême serait le trompe-l’œil, et le trompe-l’œil est exécuté par les peintres les plus médiocres avec une certitude mathématique. Les diorama, les panorama, les navalorama, ont produit en ce genre des effets merveilleux, et cependant Peter Neef, Van de Velde et Backuysen, dont les toiles ne trompent qui que ce soit une minute, sont restés les rois de l’intérieur, de la vue architecturale et de la marine.

La peinture n’est donc pas, comme on pourrait le croire d’abord, un art d’imitation, bien que son domaine semble circonscrit à la représentation des choses extérieures : le peintre porte son tableau en lui-même, et, entre la nature et lui, la toile sert d’intermédiaire. Quand il veut faire un paysage, ce n’est pas l’envie de copier tel arbre, tel rocher ou tel horizon qui le pousse, mais bien un certain rêve de fraîcheur agreste, de repos champêtre, de mélancolie amoureuse, d’harmonie sereine, de beauté idéale, qu’il cherche à traduire dans la langue qui lui est propre. Même, s’il s’astreint à représenter une vue exacte, sa pensée personnelle ne cessera pas d’être sensible pour cela : si elle est triste, il assombrira la nature la plus riante ; si elle est gaie, il saura trouver des fleurs dans l’aridité la plus sablonneuse ; c’est son ame qu’il peindra à travers une vue de forêt, de lac ou de montagne. C’est ce sentiment de beau préconçu qui inspire au sculpteur une statue, au poète une églogue, au musicien une symphonie ; chacun tente de manifester avec son moyen cette rêverie, cette aspiration, ce trouble et cette inquiétude sublimes que causent au véritable artiste la prescience et le désir du beau.

Mais nous voici bien loin du lavis à l’encre de Chine ; il faudrait cependant en parler un peu. L’encre de Chine authentique se distingue à sa cassure, qui est nette et brillante, à la finesse de son grain, à sa dureté extrême et à son inconcevable divisibilité ; — nul atrament ne peut offrir une gamme de nuances plus étendues. La sépia, le bistre,