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franchises. Cette colonie était, à l’époque où elle venait de conquérir son indépendance, la plus arriérée de toutes celles du Nouveau-Monde. Quand la révolution fut venue y donner droit de bourgeoisie aux chefs-d’œuvre des littératures étrangères, les hommes qui avaient voué la première partie de leur existence aux événemens politiques consacraient la seconde à des intérêts gravement compromis durant les jours d’anarchie. Aucune tradition littéraire n’avait donc été transmise à la génération nouvelle, aucune route ne lui avait été indiquée. L’éducation presque française que reçut la jeunesse, l’essor que prit notre littérature vers 1830, et qui en répandit les productions non-seulement dans toute l’Europe, mais dans le Nouveau-Monde, telles furent les influences qui présidèrent aux premiers pas du Chili dans la carrière intellectuelle. Comme dans tous les pays où une littérature nationale est à fonder, on commença par s’inspirer de modèles étrangers, on débuta par la traduction et l’imitation ; on poussa même fort loin cet engoûment, jusqu’à traduire nos feuilletons et nos mélodrames. Aujourd’hui encore, on n’est pas sorti de cette période d’essais ; mais on continue d’y porter une ardeur digne d’encouragement, et déjà, au milieu de ces louables efforts, on peut signaler des tentatives heureuses, qui font espérer une littérature originale. Le culte des lettres, tel que le comprend la jeunesse chilienne, mérite d’ailleurs d’autant plus nos sympathies, qu’il est plus désintéressé. La profession d’homme de lettres n’existe pas au Chili. Les poètes et les romanciers ne reçoivent aucune rémunération de leurs travaux ; ils ne sont soutenus ni par le stimulant du gain, ni par l’admiration de leurs compatriotes, toujours prêts à leur adresser l’inexorable question : Para que sirve eso ? — à quoi bon ? Ceux-là donc qui ne peuvent étouffer le feu sacré chantent pour eux-mêmes, comme les oiseaux sous le feuillage, et s’ils ont l’outrecuidance de se produire dans les journaux à court de nouvelles, seul, l’oiseleur qui les guette les découvrira d’aventure sur un dernier verso tout obstrué d’annonces ridicules.

Le Chili eut, il est vrai, pendant quelques années un recueil hebdomadaire, El Crepusculo, exclusivement consacré aux sciences et à la littérature. Ce recueil, qui paraissait encore à San-Iago en 1843, ne put malheureusement se soutenir : il disparut après quelques années d’une existence souffreteuse. Ce qui manque aux poètes chiliens, on l’a compris, c’est l’originalité d’abord, c’est peut-être aussi le public. Il faut, pour que la littérature prenne dans ce pays un développement sérieux, qu’elle se trouve en face d’une génération moins indifférente aux lettres que la génération toute politique des fondateurs de l’indépendance.

En attendant que le mouvement actuel aboutisse à une ère vraiment féconde, il faut nommer cependant quelques-uns de ces écrivains dont les inspirations, dispersées au hasard dans les journaux de San-Iago ou