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constamment les passions des hommes, les entraînemens personnels, à la place de la réalité des choses, qui paralyse les tendances les plus heureuses lorsqu’elles viennent à se manifester, et rend stériles les situations en apparence les plus nettes et les plus décisives. Il y a, au-delà des Pyrénées, nous ne savons pas quel vieux levain d’anarchie qui fermente sans cesse et se révolte contre tout ce qui aurait pour but de créer un état régulier et normal. Ne sortons pas même de l’ordre d’idées où nous placent les difficultés récentes qui intéressent le pouvoir royal en première ligne. On peut se reporter à la déclaration anticipée de la majorité de la reine, en 1843 : accompli avec une généreuse hardiesse par toutes les fractions du parti constitutionnel coalisées, accueilli par l’assentiment public, cet acte solennel était une sanction de plus pour la royauté nouvelle ; il frappait dans leur germe les rêves d’une dictature militaire qui avaient pu être formés, préservait la monarchie des parodies du 18 brumaire, de quelque comédie du consulat qui se préparait contre elle. C’était une situation neuve et féconde, sans aucun doute. On se souvient cependant comment une intrigue, dont l’unique source était dans les rivalités personnelles, vint briser l’accord des partis, et rejeter l’un d’eux, le parti progressiste, dans les tentatives violentes, tandis que l’autre, le parti modéré, arrivant au pouvoir, a fini lui-même, après avoir commencé une œuvre laborieuse et salutaire, par se livrer à l’ardeur des querelles privées, et par s’amoindrir dans des divisions funestes qui ont une part principale dans la crise présente. Aussi peut-on dire que l’Espagne n’est pas gouvernée depuis dix-huit mois ; il n’y a que des gouvernemens de nom. Le mariage de la reine est venu ; c’était un événement fait pour imprimer un nouveau caractère de stabilité à la royauté constitutionnelle ; il avait eu lieu dans des conditions nationales, à tel point que le parti progressiste lui-même avait plus d’une fois appuyé la candidature de l’infant don Francisco dans un autre temps, lorsqu’il supposait, il est vrai, que ses adversaires repoussaient le jeune prince. Cette dernière question enlevée à l’esprit de désordre, il semblait que le cercle des dangers réservés à la monarchie était parcouru, et qu’il devenait plus facile d’achever l’organisation administrative et financière du pays à l’abri de cette immuable garantie d’ordre. Il n’en est rien pourtant. Cette question vidée reparaît plus incertaine que jamais, car aujourd’hui il n’est pas de solution possible qui ne soit périlleuse et provisoire. A chaque pas, on voit ainsi tout remis en doute au-delà des Pyrénées. La révolution espagnole continue à être ce qu’elle était, — le règne du provisoire. — Le provisoire revêt toutes les formes, il se glisse partout, par cette issue commode des passions personnelles. Le provisoire est dans les choses ; il est dans les hommes. Soyez sûr qu’on rêve déjà en Espagne, non-seulement des modifications ministérielles,