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avait atteint son but, qu’il entrait en maître au palais, tandis que le roi en sortait d’un autre côté, et qu’il devenait une puissance flattée, courtisée et méprisée. Maintenant, nous le demanderons, quelle autorité morale aurait pu avoir un cabinet né sous de tels auspices, pour travailler efficacement à la réconciliation de la reine Isabelle et du roi, après avoir lui-même laissé s’aggraver les causes de leur séparation ? A quoi se sont passés, en effet, les cinq mois de la durée du ministère Pacheco ? On ne peut guère imaginer emploi plus misérable d’un temps précieux : les chambres sont fermées d’abord, pour que la voix du pays ne vienne pas se faire entendre et déranger les calculs d’une coterie vicieuse, corrompue. Bien loin de demander au général Serrano en quel nom il est au palais et le remplit de ses créatures, c’est lui qu’il flatte au contraire ; c’est devant lui qu’il se prosterne sans oser même éclairer la reine sur les dangers qu’on lui fait, et, en même temps, par une polémique imprudente qui a autorisé une discussion publique souvent sans retenue, il cherche à inculper le roi, à lui attribuer des prétentions exorbitantes : prétention bien monstrueuse que celle de ne point vouloir que la monarchie de Charles-Quint et de Charles III soit livrée à un héritier de Godoy sous un régime constitutionnel ! La situation devient telle cependant qu’elle demande impérieusement une solution, un rapprochement trop retardé entre Isabelle et son époux ; le cabinet, à qui on permet enfin d’agir, se réveille, se remue, se partage entre la Granja, Madrid et le Pardo ; il provoque alors du roi cette réponse qu’il rentrera au palais dans quatre mois, et, par un dernier abus du secret d’un entretien privé, il livre au commentaire injurieux du pays et de l’Europe cette parole trop claire et trop significative. Peut-on bien s’étonner du résultat de cette tentative ? Le cabinet Pacheco-Salamanca n’a fait que porter le poids de son origine. N’était-il pas évident, après qu’il s’était fait le serviteur d’une intrigue déshonorante, qu’entre ses mains les négociations devaient avoir un caractère particulier d’humiliation pour la reine, de dérision pour le roi, qu’il avait perdu tout droit de faire parler l’intérêt public et qu’il fallait d’autres hommes pour tâcher de relever cette situation ? C’est dans ces conditions que le général Narvaez a été appelé à Madrid comme le seul homme aujourd’hui capable, par l’énergie de son caractère, par son influence personnelle et par les doctrines politiques qu’il représente, de se mesurer avec les difficultés intérieures et de donner un gouvernement à la Péninsule.

Le sens de ce changement rendu indispensable par l’étrange faiblesse du cabinet Pacheco, ce qu’il y a de logique dans l’avènement au pouvoir du général Narvaez s’éclairera mieux encore peut-être, si nous cherchons à indiquer la marche des opinions au milieu de la crise où se trouve l’Espagne. Quelle a été l’attitude des partis depuis que la question