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cela dans votre pipe, M. Collett, et fumez-le. Ah ! n’avez-vous pas entendu conter que le Times, ce brutal journal, nous appelait des prêtres sanguinaires ? » — Ditez-vous toujours vos prières ? interrompt M. Collett d’un air de bonne humeur et tout au moins avec un merveilleux sang-froid. — Je vous ferai dire les vôtres avant d’en avoir fini avec vous, reprend de plus belle l’archidiacre Laffan.

Pour rendre l’effet de cette éloquence, il faudrait à chaque mot intercaler entre ces phrases décousues, entre ces lambeaux d’injures, les rires, les grognemens, les applaudissemens de la multitude. À Limerick, en Kilkenny, ce sont les mêmes fureurs, et tout cela sans passions énergiques, sans volonté ferme et constante, avec la mobilité fiévreuse d’imaginations désordonnées. Plus en vérité nous considérons la situation morale de l’Irlande, plus nous désirons ardemment que les principes libéraux remportent une victoire définitive dans le parlement anglais. Ce n’est pas seulement le pain de l’aumône qu’il faut à cette population sans ressource, il faut avant tout lui donner cette éducation morale avec laquelle on gagne le pain du travailleur. Il faut la soustraire à cette influence d’un clergé qui use du patriotisme comme d’un instrument de domination. Or, la seule manière dont l’Angleterre puisse aujourd’hui combattre l’antagonisme du clergé catholique d’Irlande, c’est de mettre le catholicisme sur le même pied que la religion anglicane, c’est de donner les mêmes droits aux deux cultes pour leur imposer les mêmes devoirs. Avant d’accomplir cette tâche, le gouvernement britannique aura sans doute beaucoup à lutter contre d’autres obstacles, contre d’autres préjugés plus nationaux et peut-être plus étroits. Il ne peut dompter le fanatisme catholique qu’à la condition d’irriter le fanatisme protestant. A quoi cependant l’Angleterre pourrait-elle mieux employer l’autorité de cette merveilleuse position qu’elle a maintenant acquise au dehors, si ce n’est à reconstituer solidement, à rajeunir les vieilles bases de son existence intérieure ?

La guerre entre les États-Unis et le Mexique semble toucher à sa fin ; des ouvertures pacifiques sont dernièrement encore parties de Washington, et l’état d’anarchie où se trouve la république envahie ne permet guère de croire à la prolongation des hostilités. Depuis l’occupation de Puebla par les Américains, Santa-Anna, après avoir repris la démission qu’il avait donnée deux fois au congrès, a pu réunir à peu près 20,000 hommes et a fortifié quelques points des environs de Mexico. Ces moyens de défense, en admettant même comme exact le chiffre des troupes de Santa-Anna, sont loin de répondre à la gravité de la situation. Non-seulement tout accord est rompu entre le gouvernement mexicain et les états fédéraux, mais la discorde a pénétré au sein même de chaque état. Ainsi, le gouverneur de l’état de Mexico est en révolte contre le congrès ; l’état de Oajaca a deux gouverneurs et deux congrès, dont l’un est uniquement occupé à annuler les décrets de l’autre ; l’état de Zacatecas a fait scission à son tour, et il oppose au congrès souverain un simulacre d’assemblée nationale réunie à Lagos. Tandis qu’une inquiétude fébrile règne ainsi à la surface de la société mexicaine, un découragement absolu a gagné la masse de la population. En présence d’une désorganisation si complète, on a pu s’étonner de l’inaction des Américains, dont le moindre mouvement semblerait devoir terminer la guerre. Le fait est que l’armée américaine, commandée par le général Scott, est aux prises, de son côté, avec des difficultés très graves. Ne recevant pas les renforts