Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/989

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des républicains, et les attaqua si rudement, que tous se débandèrent et prirent la fuite vers Château-Gonthier.

De Laval, on marcha sur Granville, où l’on échoua. Il fallut revenir à Pontorson. La destruction de l’armée royaliste, traquée de toutes parts, était inévitable ; chaque heure de repos conquise aux femmes et aux blessés demandait une victoire ; la bataille avait des intermittences, mais ne cessait plus. A Dol, on crut tout perdu ; l’armée entière prit la fuite. Les femmes poussaient des clameurs de désespoir en reprochant aux hommes leur lâcheté, et les hommes frappaient les femmes en les accusant de leur avoir communiqué leurs terreurs. La cavalerie, qui était l’élite de l’armée, criait : — A la mort, les braves ! et se laissait emporter avec le reste. Stofflet était à la tête des fuyards On eût dit une de ces irrésistibles et contagieuses épouvantes que les anciens attribuaient à l’influence d’un dieu. Au milieu de la déroute générale, Jean Chouan et ses hommes furent les seuls qui tinrent ferme. Ils étaient accourus vers le prince de Talmont, et, protégés par le brouillard qui cachait leur petit nombre, ils repoussèrent les bleus. Tout le monde déclara qu’on leur devait le salut de l’armée.

Le prince de Talmont voulut reconnaître le service rendu par Jean ; il signa le soir même un acte par lequel il l’autorisait, lui et ses descendans, à prendre dans ses forêts tout le bois dont ils pourraient avoir besoin : curieux détail qui prouve la persistance des habitudes au milieu des plus éclatantes ruines. M. de Talmont, dont tous les biens étaient confisqués et qui manquait de linge, n’avait pu oublier qu’il était prince, il disposait de ses forêts ; Jean Chouan, le héros du jour, qui venait de sauver une armée, restait le fils du pauvre sabotier, et s’estimait heureux de pouvoir acheter une rente de fagots avec sa gloire.

Du reste, chaque avantage remporté par les Vendéens ne pouvait être désormais qu’une courte halte dans l’agonie. A La Flèche, ils avaient failli être tous rejetés dans le Loir par l’armée républicaine ; ils atteignirent enfin Le Mans, dernière étape de cette marche funèbre. C’était là que tout devait finir.

L’armée en avait le pressentiment et le souhaitait. Les survivans avaient vu périr tous ceux qu’ils aimaient ; ils traînaient après eux le poids de ces morts ; personne n’avait plus de goût à la vie, la fatigue faisait désirer seulement d’être égorgé au repos. Les femmes, les malades, les blessés, s’étaient couchés sur les places ou dans les rues et les encombraient. Quelques officiers vendéens, soutenus par l’honneur, combattaient pourtant encore à l’entrée de la ville. Jean Chouan était avec eux. Il profita d’un moment de répit pour rentrer au Mans et chercher sa mère. Il la trouva sous les halles, assise à terre près de Suson. François était étendu à leurs pieds : la veuve tenait les mains de son fils dans les siennes et murmurait une prière, tandis que la pauvre