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Et se tournant vers ses hommes

— Comment avez-vous promis de punir les traîtres ? demanda-t-il.

— Fusillés ! répondirent toutes les voix.

— Emmenez donc celui-ci, continua-t-il en leur jetant Godeau, et finissez vite.

Les chouans entraînèrent le malheureux, qui se débattait et criait qu’il n’était pas un traître.

— Alors pourquoi n’as-tu pas dit ce qu’il y avait dans le billet ? objecta Miélette.

— Je n’étais pas sûr… répliqua le garde-chasse.

Miélette lui banda les yeux, il s’efforça de se dégager.

— Non, cria-t-il, vous ne me fusillerez pas… On ne tue pas un homme… parce qu’il s’est trompé.

— As-tu lu l’avertissement ? reprit le chouan, dont l’implacable logique ne sortait point de la même question.

— C’était… trop mal écrit.., dit Godeau.

On le renversa à terre, et cinq ou six fusils s’appuyèrent sur sa poitrine.

— Grace ! cria-t-il ; au nom de Dieu, grace ! je n’ai point trahi.

— Sais-tu lire ? demanda Miélette.

— Eh bien… non, bégaya le garde-chasse d’une voix étranglée.

La honte d’avouer son ignorance avait contre-balancé chez lui jusqu’au dernier instant l’amour de la vie.

— Ah ! je m’en doutais, s’écria Miélette, qui écarta les fusils ; alors tu nous as menti comme un huguenot, et M. de Talmont est mort à cause de ta vanterie ! Détale vite, et surtout ne te retrouve jamais sur la route de Jean, car il te tuerait comme un chien.

De nouveaux chagrins devaient faire oublier Godeau à ce dernier. Son frère François était mort des suites de sa blessure et avait été secrètement enterré dans le cimetière d’Olivet. La pauvre fille, dont la raison s’était égarée de plus en plus, avait refusé de quitter l’endroit où reposaient ses restes ; elle avait pris pour demeure le porche même de l’église, et passait une partie de ses journées sur la fosse du mort, où elle continuait à chanter ses noëls et ses complaintes. Les bleus connurent ainsi le lieu de sépulture de François ; quelques scélérats déterrèrent le cadavre et en coupèrent la tête, qui fut placée au bout d’un pieu comme celle du fameux Cottereau, chef des chouans du Bas-Maine. Pendant cette profanation infame, la pauvre fille n’avait rien dit, mais elle cessa de chanter, suivit l’horrible dépouille jusqu’à la Gravelle, et s’assit au pied du poteau où elle était exposée. Des soldats qui lui avaient ordonné de se retirer, et auxquels on dit que c’était une brigande, la tuèrent.

Jean apprit ces détails de René, qui, avait été arrêté comme suspect,