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puis remis en liberté. Jaloux de conserver son avoir à tout prix, René s’était jusqu’alors tenu en dehors de l’insurrection, uniquement occupé de bêcher son closeau et de dérober ses vaches aux deux partis ; mais, en sortant des prisons de Laval, il trouva sa crêche vide, son closeau ravagé et sa maison sans porte. Les pillards déguisés en patriotes qui parcouraient les campagnes sous le nom de contre-chouans avaient tout emporté. À cette vue, René fut saisi d’une rage furieuse. Il ordonna à sa femme de rassembler les guenilles qu’on avait dédaignées, et, retirant son fusil caché sous la pierre du foyer, il alla rejoindre son frère au bois de Misdon.

— Voilà tout ce que les bleus m’ont laissé, dit-il en montrant à Jean le paquet porté par sa femme ; mais que je sois toute ma vie un mendiant, si je n’en tue autant qu’ils m’ont volé de petits écus !

Jean éprouvait lui-même un commencement de désespoir qui se traduisait en une fièvre d’entreprises. Il promenait sa bande des marches du Maine aux marches de la Bretagne, attaquant les convois, désarmant les patriotes et délivrant les prisonniers. Les affaires de Rouge-Feu, de Bourgon, de Saint-Mervhé, du Grand-Mail, de Saint-Ouën, se succédèrent rapidement et presque toujours à l’avantage des chouans. René montra partout la même fureur inexorable. A la vue des bleus, comme le disait Va-de-bon-Coeur, son fusil partait de lui-même. Il frappait des femmes sans défense, uniquement parce qu’elles avaient pris la fuite à son approche ; il fusillait des passans désarmés qui portaient la cocarde tricolore, il égorgeait les prisonniers et les blessés. Ce fut surtout à l’affaire du Grand-Mail et à celle de Saint-Ouën que, selon sa terrible expression, il put tuer des patriotes à poignées. La destruction du butin, qu’il fallait le plus souvent brûler par l’impossibilité d’en tirer parti, augmentait encore ses emportemens. Il tournait alors autour des flammes comme un loup autour des feux de berger, déplorait tout haut la perte de tant de choses de prix, en supputait la valeur et accusait avec une folle indignation les patriotes d’empêcher que les vrais chrétiens pussent en profiter. Jean s’opposait, autant qu’il lui était possible, à ses barbaries, mais il était à peu près le seul à les désapprouver ; la violence a une apparence d’énergie à laquelle les forts applaudissent par sympathie, les faibles par crainte. Jean désarma en vain plusieurs fois son frère ; celui-ci se procurait bientôt un nouveau fusil et recommençait contre les bleus ce qu’il appelait son compte de petits écus.

Un matin que la troupe était réunie à Maineuf, près du bourg du Genet, René, que tourmentait une inquiétude de bête fauve, se leva le premier et sortit pour examiner les alentours du campement. Tout à coup il aperçoit un homme qui semble s’avancer avec précaution à travers les touffes de châtaigniers, et dont le costume n’est point celui des