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ou dans la ville, furent exécutés publiquement. Là s’arrêtèrent ses vengeances. Satisfait par la mort des principaux chefs, le roi pardonna aux gentilshommes obscurs qu’ils avaient entraînés. À l’égard des bourgeois, il observa fidèlement la promesse faite à Triguero. La ville ne fut point pillée et même ne perdit aucun de ses privilèges[1].

On ne doit point juger cette sanglante exécution avec nos idées modernes ; il faut se reporter aux mœurs du moyen-âge, non pour la justifier, mais pour examiner si l’odieux de ce massacre doit retomber sur le prince qui le commanda ou sur l’époque qui vit tant de scènes semblables. Il n’est point douteux que, suivant les lois et les usages de la Castille au XIVe siècle, des vassaux rebelles ne fussent considérés comme des traîtres, que le premier sujet fidèle pouvait et devait tuer en les reconnaissant. Sommés à plusieurs reprises de mettre bas les armes et d’accepter l’amnistie de leur seigneur, ils s’étaient opiniâtrés dans la révolte jusqu’au moment où la résistance cessa d’être possible. Carpentero, en prenant le titre et les insignes de maître de Calatrava, se mettait en hostilité contre son roi et contre son ordre. Si l’on se rappelle qu’il fut tué par un écuyer du maître légitime, Diégo de Padilla, on peut supposer que ce fut en qualité de frère insubordonné qu’il reçut la mort. Au crime de rébellion contre son souverain, Tellez Giron joignait le crime de désertion à l’ennemi. Castañeda paraît avoir joué le rôle odieux de traître à tous les partis. Assistant au conseil des ligueurs, il traitait à leur insu avec le roi ; il se faisait donner une amnistie personnelle, et prétendait ne s’en servir que lorsqu’il aurait perdu tout espoir dans le succès de ses compagnons. Quant à Martin Telho, sujet portugais et vassal de la reine-mère, il ne pouvait être considéré comme coupable de haute trahison ; mais le coup qui le frappa était dirigé contre la reine elle-même, et c’est parce que don Pèdre ne pouvait punir sa mère qu’il s’en prit à son conseiller, à son amant, selon le bruit public. Suivant les mœurs du moyen-âge, sa vengeance était juste, car à lui appartenait de châtier tout attentat à l’honneur de la maison dont il était le chef. Deux siècles plus tard, cette tyrannie ou ce despotisme autorisé du chef de famille existait encore en Espagne, et, pour obéir aux lois de l’honneur, un gentilhomme devait poignarder sur la place tout homme qu’il trouvait seul chez une de ses parentes. Assurément, en 1356, personne n’eût contesté à don Pèdre le droit de tirer un châtiment exemplaire des rebelles de Toro ; mais que penser de cette boucherie de gens sans défense qui venaient, conduits par deux femmes, implorer sa pitié ? Sans doute la clémence eût été approuvée par l’opinion publique, qui loua don Pèdre pour avoir fait grace à Martin Abarca. Cependant le crime des quatre riches-hommes était manifeste ;

  1. Ayala, p. 207. – Rades, Cron. De Calat., p. 56.