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le mode de châtiment employé contre eux était admis par les mœurs, et peut-être aucun autre n’était alors possible. Devant quel tribunal, en effet, juger un riche-homme, espèce de souverain indépendant, au dessus des lois comme le roi lui-même ? En de telles occasions, comme dans toutes les questions politiques au moyen-âge, les précédens (fazanas) faisaient autorité, et malheureusement les exemples ne manquaient pas d’exécutions sans jugement. C’est ainsi que le roi don Alphonse avait fait justice du maître d’Alcantara Gonzalo Martinez ; c’est ainsi que don Juan d’Alburquerque avait fait décapiter Alonso Coronel. Alors ce n’était pas une vaine formule, celle qui enjoignait à tous les sujets loyaux de courir sus au rebelle et de le mettre à mort. De braves gentilshommes ne se refusaient pas à faire le métier de bourreau, et tuer un proscrit était à cette époque, comme aujourd’hui en Orient, une action qui n’entraînait pas le déshonneur. Il y a quelques années à peine que l’instrument du supplice n’était pas le même en Espagne pour le noble et pour le roturier. Au XIVe siècle, un riche-homme castillan abandonnait sa tête à la masse ou au glaive d’un chevalier avec moins de regret qu’à la hache du bourreau.

Quant au résultat politique du massacre de Toro, l’événement prouva que ce terrible exemple avait fait une salutaire impression sur cette noblesse toujours ennemie des lois et de la tranquillité publique. En apprenant la prise de leur plus fort boulevard, ce qui restait de ligueurs dans la Castille, en Estramadure et dans le royaume de Léon, se dispersa presque aussitôt. Gonzalo Mexia, commandeur de Saint-Jacques, qui venait de battre les royalistes près de Talavera, se hâta de quitter l’Espagne et se réfugia en France, puis en Aragon[1]. Albornoz s’enfuit de Cuenca, emmenant avec lui, à Saragosse, le jeune don Sanche, son pupille[2]. Après quelques jours de siège, Palenzuela, que la reine Marie avait donnée au comte de Trastamare, se rendit à discrétion[3]. Don Tello, qui jusqu’alors s’était maintenu complètement indépendant en Biscaïe, envoya demander merci[4]. Enfin don Henri lui-même, perdant tout espoir de prolonger une lutte trop inégale, supplia le roi de lui accorder un sauf-conduit pour sortir de Castille et passer en France, où il allait accepter la solde et la condition de capitaine d’aventure[5]. Depuis les Pyrénées jusqu’au détroit de Gibraltar, l’autorité de don Pèdre était reconnue. Cette noblesse qui, naguère, le retenait captif, humiliait maintenant son orgueil devant sa pleine puissance ; l’église, qui avait mis son royaume en interdit, se contentait d’une satisfaction

  1. Ayala, p. 209.
  2. Ibid., ibid.
  3. Ibid., p. 210.
  4. Ibid., ibid.
  5. ibid., p. 213.