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crime qui ne fut point consommé, et le vague même de l’accusation rend la défense difficile ; je me contenterai d’opposer à une imputation si légèrement admise un fait cité par le même Ayala, et qui en démontre toute l’invraisemblance. Immédiatement après le tournoi de Tordesillas, deux hommes attachés à la personne de don Fadrique, l’un bourgeois de Valladolid, l’autre de Tolède, furent arrêtés et mis à mort par les alguazils de cour. Tous les deux avaient pris une part active aux derniers troubles et s’étaient signalés entre les plus factieux[1]. Si don Pèdre songeait alors réellement à faire périr le maître de Saint-Jacques, il oubliait bien vite cette politique perfide qu’on lui attribuait tout à l’heure, et, par le supplice de serviteurs subalternes de son frère, il l’obligeait à craindre pour lui-même et l’avertissait en quelque sorte de se tenir sur ses gardes. N’est-il pas évident, au contraire, qu’en punissant des factieux obscurs, le roi n’avait d’autre intention que de prouver sa puissance et de montrer aux grands de son royaume, surtout à don Fadrique, le prix qu’il réservait à la rébellion ? Don Pèdre aimait à se faire craindre, et don Fadrique s’était rendu assez coupable pour mériter une leçon plus sévère encore que celle qu’il recevait par le supplice de ses adhérens.

La Castille était pacifiée. La situation des provinces du nord n’inspirait plus d’inquiétudes, cependant don Tello trouvait toujours des prétextes pour demeurer en Biscaïe. Las de l’attendre, mais satisfait ou feignant de l’être par les assurances réitérées de soumission qu’il en recevait, le roi se rendit avec toute sa cour à Séville, qui déjà, par son heureuse position et par l’industrie de ses habitans, était devenue la ville la plus importante de son empire. C’était sa résidence de prédilection, il se plaisait à l’embellir de monumens magnifiques, à y donner des fêtes, à y déployer un luxe encore inconnu aux souverains de la Castille. Marie de Padilla le suivit à Séville, et vint occuper un appartement dans l’Alcazar. Depuis la fin des troubles, don Pèdre avait jeté le masque. Il la traitait en reine, et les peuples s’habituaient à respecter son choix.


P. MÉRIMÉE.

  1. Ayala, p. 212.