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La dévotion des anciens Égyptiens a laissé un autre vestige dans des pierres de l’édifice évidemment grattées par les fidèles, selon toute vraisemblance, dans l’intention d’emporter un peu de la poussière sacrée du temple. Cette explication, dont l’idée m’a été suggérée par M. Durand, est corroborée par un rapprochement qui m’a frappé. A Aidmore, en Irlande, est un rocher dans lequel saint Declan, contemporain de saint Patrik, passe pour être enseveli. Selon la légende, c’est sur ce rocher qu’il vint de Rome en Irlande entre l’introït et l’ite missa est. Encore aujourd’hui, une vieille gardienne n’a d’autre industrie que de gratter le granit de la roche et de le débiter aux pèlerins[1]. Quelque chose de semblable se passait sans doute dans le temple de Khons.

Telles sont les principales ruines de Karnac. Joignez-y plusieurs petits édifices que je ne mentionne pas dans cette première vue d’ensemble, et surtout trois pylônes gigantesques, s’élevant isolés l’un au sud, l’autre à l’est et l’autre au nord comme pour garder ces ruines, amas de palais, de temples, de portiques, que domine la salle aux cent trente-quatre colonnes, et du milieu desquelles s’élèvent deux élégans obélisques dont la pointe effilée se détache sur un ciel parfaitement pur. Errez maintenant parmi ce labyrinthe d’édifices et de débris à l’heure où les rayons obliques d’un soleil de feu baignent tout ce que vous voyez d’une lumière étincelante, ou quand la lune presque pleine comme aujourd’hui tapisse de ses clartés les ruines immenses, quand les pylônes dressent dans la nuit leurs masses blanches ou noires, et vous aurez une impression de majesté, de tristesse et de grandeur, comme je ne pense pas qu’on puisse en éprouver une semblable sur la terre.

Il y a trente ans, ces masses étaient muettes ; maintenant elles ont une voix et elles racontent plus de vingt siècles de l’histoire d’Égypte. Rien ici ne remonte à l’antiquité primordiale de l’âge des pyramides. On trouve même très peu de textes datant de l’ancien royaume et antérieurs à l’invasion de ces barbares qu’on appelle les pasteurs ; mais à peine, après cinq cents ans d’une domination toujours contestée sur quelque point de l’Égypte, les barbares ont-ils été expulsés par la vaillance persévérante des premiers rois de la dix-huitième dynastie, que dis-je ? pendant que la lutte dure encore aux extrémités septentrionales de l’empire, sous ces rois de l’Égypte délivrée, s’élève, non loin du lieu où était l’ancien sanctuaire détruit durant l’invasion, ce palais de Thoutmosis III qui existe encore, les obélisques, enfin tout ce qui subsiste de la partie la plus ancienne des édifices de Karnac. Les dimensions de ces édifices ne sont point gigantesques ; les hiéroglyphes et les bas-reliefs offrent la perfection qui caractérise l’époque brillante des Thoutmosis.

  1. Excursion dans le pays de Galles et en Irlande, par M. Pichot.