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après dix-huit changemens de dynastie et une invasion étrangère, il se regardait comme le légitime successeur de Ménès, que la famille nouvelle et glorieuse des Ramsès rattachait son pouvoir à cet antique roi.

A peu de distance du Ramesséum, on trouve un vaste emplacement semé de débris que le limon du Nil a enfouis en partie et que recouvrent les hautes herbes, mais qui cependant reparaissent par intervalle. Ces tronçons de colonnes et ces fragmens de statues gigantesques sont les restes du palais de Memnon. C’est le nom donné par les Grecs au Pharaon Aménophis III, de la dix-huitième dynastie, qui avait élevé un édifice sur cette rive comme il en avait élevé un sur l’autre rive à Louksor. Le premier a été renversé, et cette destruction n’est pas facile à expliquer. Il ne reste plus de l’Aménophium de la rive gauche que les deux colosses encore intacts, assis au milieu de la plaine de Thèbes qu’ils remplissent de majesté. Tous deux sont le portrait du même roi. Celui qui est le plus au nord, célèbre par les sons qu’il rendait au lever de l’aurore, a été fameux sous le nom de statue de Memnon.

Les bas-reliefs et les hiéroglyphes sculptés sur les trônes des deux colosses sont d’une perfection achevée. Champollion a dit des derniers : Ce sont de véritables camées d’un pied de haut. Soixante-douze inscriptions latines et grecques, les unes en prose, les autres en vers, couvrent la jambe énorme de la statue. Pour les lire, on monte sur le pied, qui a un mètre d’épaisseur. Ces inscriptions sont des souvenirs laissés par de nombreux visiteurs qui tous affirment avoir entendu la merveilleuse voix. Parmi ces inscriptions, beaucoup sont insignifiantes, quelques-unes sont touchantes ou curieuses, et d’autres sont ridicules. On remarque, au milieu de ces noms obscurs, le nom de l’empereur Adrien et celui de Sabine, son épouse. Quelquefois le miracle n’a pas eu lieu au moment où on l’attendait, il a fallu revenir à plusieurs reprises. Je remarque aussi que les mois dans lesquels les voyageurs sont venus saluer Memnon sont précisément les mois de l’automne, de l’hiver ou du printemps, ceux pendant lesquels les touristes modernes font le voyage d’Égypte comme les touristes anciens, et par la même raison. Plusieurs fois la pensée des absens est rappelée d’une manière aimable. Un certain Aponius trace le nom de sa femme à côté du sien, et s’écrie : Que n’est-elle près de moi ! Une grande dame de la suite de l’impératrice Sabine nous a gratifiés de plusieurs pièces de vers écrites dans le dorien le plus pédantesque, où elle a trouvé le moyen de nous faire connaître sa généalogie et d’apprendre à l’avenir qu’elle descendait du roi Antiochus. Je tire ces particularités de l’excellent travail de M. Letronne sur ces inscriptions. On ne peut aujourd’hui venir saluer le colosse sans rendre hommage à celui qui a composé sur la statue vocale de Memnon une dissertation remplie d’une érudition aussi piquante que solide. Voici à peu près ce dont il s’agit dans