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cette dissertation. Quelle a pu être la cause de ce bruit singulier attesté par plusieurs auteurs de l’antiquité, et, ce qui ôte toute espèce d’incertitude, par soixante-douze témoins auriculaires, parmi lesquels sont l’empereur Adrien et l’impératrice Sabine ? Pourquoi ce bruit a-t-il cessé ? Enfin, pourquoi la statue d’Aménophis III, roi d’Égypte, s’est-elle appelée la statue de Memnon, héros grec et fils fabuleux de l’Aurore ? Tout en répondant à ces différentes questions de la manière la plus satisfaisante, M. Letronne a rencontré plusieurs résultats extrêmement curieux et assez inattendus. D’abord l’étude des inscriptions et divers passages des écrivains anciens prouvent que le son rendu par la statue au lever de l’aurore n’a commencé à se faire entendre que vers l’époque de Néron, peu de temps après qu’elle eut été en partie brisée par un tremblement de terre, et n’a plus été entendu depuis que Septime-Sévère, dans son zèle dévot pour le paganisme et probablement dans le désir de faire pièce au christianisme, eut restauré le colosse mutilé. Il s’attendait qu’après cette restauration, le dieu ne se bornerait plus à exhaler un son fugitif, mais rendrait de véritables oracles comme on imaginait qu’il en avait autrefois rendu ; mais voyez le malheur ! la vibration sonore, cause naturelle du phénomène, ne se reproduisit plus après que le colosse eut été réparé. Sans le vouloir, Septime-Sévère y avait mis, comme dit M. Letronne, une sourdine. Aussi, depuis lors, plus d’inscriptions, plus de sons extraordinaires célébrés par les voyageurs comme des sons divins. Brisée, la statue parlait ; entière, elle fut muette.

Quant au nom de Memnon donné à la statue d’Aménophis, qu’au reste Pausanias et les auteurs de plusieurs inscriptions savaient fort bien s’appeler Amenoph ou Phamenoth, M. Letronne y voit avec une extrême vraisemblance une confusion reposant, comme tant d’autres confusions de la mythologie grecque et de beaucoup de mythologies, sur une ressemblance de sons, et, pour trancher le mot, sur une sorte de calembour. Memnon, fils de l’Aurore, était un héros de la tradition homérique. Sa qualité de roi des Éthiopiens fit chercher sa trace en Égypte. Or, à Thèbes, un quartier de la ville, celui-là même où est placé le colosse, s’appelait Memnonium. Dès-lors le colosse du Memnonium fut Memnon, et, comme la vibration sonore déterminée par le brusque passage de la température nocturne à la température du jour produisait fréquemment son effet vers l’heure où se lève le soleil, l’imagination des Grecs, dans sa crédulité toujours ingénieuse, s’avisa qu’au lever de l’aurore, Memnon saluait sa mère. Voilà comment d’un fait très simple, mais dont ils ne connaissaient pas l’explication, les anciens faisaient une fable ; voilà comment la science actuelle, sans avoir recours, comme la philosophie du dernier siècle, à l’éternelle supposition des prêtres imposteurs qu’on n’a pas manqué d’alléguer ici, explique