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selle. Un quart d’heure de plus, me disais-je, allait me donner raison d’une certaine défiance railleuse que Cecilio ne déguisait pas avec tout le soin convenable. Cependant, à ma grande mortification, le temps s’écoulait, le jour allait faire place à la nuit, et l’ombre s’épaississait insensiblement. La nuit vint à son tour, et j’eusse renoncé à cette chasse obstinée, si l’amour-propre ne fût venu stimuler chez moi la curiosité. Le silence était profond sur la route que nous parcourions. Parfois je m’arrêtais, croyant entendre devant moi le pas de deux chevaux, et je reprenais ma course avec plus d’ardeur jusqu’à ce que l’absence de tout bruit vînt me démontrer que j’étais dupe d’une illusion. La certitude, toutefois, d’être sur les traces des voyageurs me soutenait encore, car, de Mexico à l’endroit où nous étions parvenus, la route n’avait pas d’embranchement ; toutes les probabilités étaient en ma faveur. Néanmoins, après six heures de marche, il fallut songer à prendre quelque repos : douze lieues parcourues à franc étrier rendaient pour nos chevaux une halte nécessaire. Il était temps d’ailleurs de nous procurer un gîte, car, au Mexique, deux qualités sont requises pour s’introduire dans les auberges : la première est que l’auberge convienne aux voyageurs, la seconde est que l’heure et les voyageurs conviennent à l’aubergiste. Je ne tardai pas heureusement à voir briller les lumières d’une cabane isolée, vers laquelle nous piquâmes des deux. Au dire de l’hôte, deux cavaliers étaient passés une demi-heure avant nous devant l’auberge ; mais l’obscurité ne lui avait pas permis de distinguer la couleur de leurs chevaux. Comme il était certain que ces deux voyageurs avaient dû s’arrêter à peu de distance de ce lien et passer comme nous la nuit sous un toit, je me décidai, sans désespérer de les atteindre, à laisser reposer nos chevaux. En repartant avant le point du jour, je devais sans peine regagner le temps perdu. Malheureusement Cecilio se réveilla tard, et ce ne fut qu’au grand jour que nous nous remîmes en route. J’en avais trop fait pour reculer désormais, et d’ailleurs j’étais heureux d’avoir un but à poursuivre. Cecilio ne partageait pas entièrement ma manière de voir, et c’était avec une sorte de désespoir qu’il avait soin de m’avertir à chaque instant du nombre de lieues que nous avions franchies. Cependant, quoique dénoncés par tous les passans que j’interrogeais chemin faisant, les voyageurs, qui ne devaient avoir sur moi que peu d’avance, semblaient m’échapper comme par magie, précisément au moment où je me flattais de les atteindre. J’avais déjà dépassé le défilé pierreux de la Canada, j’avais laissé derrière moi l’hacienda de San-Francisco. J’avais scruté sur mon passage tous les ranchos, tous les lieux ordinaires de halte, et à chaque fois j’apprenais que deux voyageurs montés, l’un sur un cheval gris de fer, l’autre sur un cheval fleur de pêcher, ne devaient être qu’à peu de distance devant moi.