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Nous prîmes les deux chevaux par la bride, et, sans échanger d’autres paroles, nous nous dirigeâmes vers la venta.


III.

Mon nouveau compagnon une fois installé dans ma chambre, je sortis sous prétexte de veiller à ce qu’on prît soin de nos chevaux, et je commandai à Cecilio d’aller chercher à la cuisine de l’hôtellerie un souper suffisant pour deux personnes. Le Biscayen, après quelques façons, en voulut bien accepter sa part. J’avais déjà fait un repas assez copieux, et je ne touchai au souper que par politesse, tandis que mon convive y faisait le plus grand honneur, tout en s’étonnant de ma sobriété.

— Que voulez-vous ? lui dis-je pour expliquer mon abstinence, c’est mon premier voyage dans ce pays, et je n’ai pas encore pu me faire à cette infernale cuisine.

Et tandis que Cecilio, debout derrière nous, ouvrait des yeux démesurés en m’entendant affirmer que j’étais à mon début en fait de voyages, je ne pouvais m’empêcher d’admirer avec envie chez mon hôte les formidables prouesses d’un appétit développé par vingt-quatre heures de jeûne.

— Maintenant, lui dis-je, quand il ne resta plus que les assiettes, si le voisinage d’une jeune et charmante voyageuse, dont la chambre touche celle-ci, ne vous empêche pas de dormir, je crois que vous ferez bien de m’imiter.

Et je m’étendis par terre dans mon manteau.

— Soit, dit l’Espagnol ; mais peut-être avant de vous endormir ne vous sera-t-il pas désagréable d’entendre un air de mandoline ?

— Vous êtes chez vous, mais vous ne vous offenserez pas si je m’endors en vous écoutant.

En dépit de la couche froide et dure où j’étais forcé de chercher le sommeil, je n’entendis bientôt qu’un murmure confus de notes indécises, puis plus rien. Je me réveillai en sursaut sous l’impression d’une fraîcheur fort vive. La longue et mince chandelle collée à la muraille jetait ses dernières et fumeuses clartés dans la chambre, où je me trouvais seul ; l’Espagnol avait disparu, la porte entr’ouverte laissait pénétrer l’air froid de la nuit qui m’avait réveillé : j’écoutai. Un silence profond avait succédé aux derniers murmures de la vaste hacienda, le coq chantait au loin. Surpris de la brusque disparition de mon compagnon, je me levai pour refermer la porte, et je jetai à tout hasard un coup d’œil dans la cour. Au milieu de l’obscurité, je crus apercevoir deux silhouettes noires à moitié cachées par un pilier. L’une d’elles était le gentilhomme biscayen, dont je distinguai la voix, quoiqu’il parlât bas ;