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L’ex-carliste me quitta ; je laissai ma valise à l’hôtel, et après m’être informé de la situation du château de la Tronera, qu’on m’indiqua tout de suite, je me dirigeai à pied vers cette résidence, à un quart de lieue de Vergara. Le château des Villalobos, comme je m’y attendais, était un triste séjour ; le vent sifflait aux angles des tourelles démantelées avec un bruit lugubre qui résonnait à mes oreilles comme le tambour lointain des bandes carlistes. Des essaims d’hirondelles voltigeaient sur les toitures à jour. Toutes les fenêtres étaient closes ; cependant des échafaudages désertés se dressaient à certains endroits du bâtiment, indiquant des réparations interrompues. La solitude et le silence qui régnaient alentour m’épouvantèrent. Le château semblait abandonné. Je heurtai néanmoins à la porte, quelques instans s’écoulèrent, et une femme vêtue de noir vint m’ouvrir. Je la priai d’annoncer à sa maîtresse qu’un étranger arrivant d’Amérique désirait avoir l’honneur de lui présenter ses hommages et lui donner des nouvelles importantes.

— Hélas ! me répondit la femme, il y a six mois que la pauvre dame est morte, et chaque jour j’attends son fils.

— Il est mort aussi, lui dis-je.

J’appris alors qu’environ six mois avant ma venue la mère de don Jaime avait reçu une forte somme d’argent. Aucune lettre n’accompagnait l’envoi. La mère cependant n’avait pas hésité à reconnaître son fils dans ce bienfaiteur assez riche pour demeurer anonyme. Alors le bonheur avait fait chez elle ce que le chagrin n’eût pas manqué de faire plus tard, il l’avait tuée. Avant de mourir, elle donna l’ordre d’employer la somme qu’elle avait reçue à restaurer le château et à le rendre digne de son jeune maître ; puis, bercée jusqu’au dernier moment d’une douce et bienfaisante erreur, elle s’endormit en remerciant Dieu d’avoir permis qu’un jour de prospérité vînt luire enfin sur l’antique race des Villalobos.

Ma promesse était remplie. Je ne m’arrêtai pas au château. Il est inutile d’ajouter que, contrairement aux prévisions de mon guide, j’achevai mon excursion sans avoir rencontré sur ma route l’ombre d’une bande carliste ou d’un détachement christino.


GABRIEL FERRY.