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et même race. Alors les autres populations de la Hongrie n’avaient point encore présenté de résistance ni donné de signes de leur énergie nationale, sinon par leur impassibilité ; et ainsi le magyarisme put faire une soudaine et victorieuse irruption par toutes les voies de l’activité sociale. Avec Széchényi, il envahit l’économie politique et l’administration ; avec Wéssélényi, il pénétra dans les comitats, en même temps que de jeunes écrivains le portaient dans l’histoire nationale, dans la statistique, dans toutes les branches de la poésie[1].

Une société savante, ou plutôt une académie nationale vint, en 1827, centraliser ces efforts individuels, et elle prit tout de suite l’importance d’une grande institution politique, car elle était le juge et le guide de ceux qui travaillaient à répandre l’idiome national. Elle professait littéralement que l’on pouvait écrire en magyare aussi bien que Cicéron en latin ; elle ne doutait nullement que le magyare ne fût plus philosophique et plus parfait que les autres langues parlées dans la Hongrie, et elle croyait, en l’imposant à toutes les populations hongroises, assurer à la fois la suprématie de la race magyare et le progrès de la civilisation en Orient. Si en effet le magyarisme eût pu être accepté pacifiquement par toute la Hongrie, c’eût été pour lui une conquête féconde ; il eût ainsi réuni sous son autorité, dans une même idée, une masse de treize millions d’hommes belliqueux sur un sol très riche, même sans culture. C’était plus que le tiers de l’empire d’Autriche, qu’il pouvait, avec un peu de résolution, ou dominer ou briser. Seulement, pour obtenir cette unité puissante, la première mesure à prendre était de rester Hongrois au lieu de se dire si hautement Magyare ; et si l’on tenait si fort à ce nom, qui avait l’inconvénient de ne s’appliquer point à tous les peuples de la Hongrie, il eût fallu du moins admettre leur développement simultané sous leur nom national. La Hongrie fût restée ainsi une confédération de quatre races unies contre un ennemi commun, le germanisme, qui eût été vraisemblablement fort empêché en face du magyarisme, de l’illyrisme, du tchékisme et du roumanisme, sans compter le polonisme hardiment campé en Gallicie et l’italisme de la grasse et indolente Lombardie ; mais les Magyares ayant persisté dans le projet d’imposer leur nom et leur langue à toute la Hongrie, à la place de l’unité hongroise, on vit naître la guerre des races, qui rendit à l’Autriche la sécurité et l’influence.

  1. Bien que la vie parlementaire, ouverte à la jeunesse noble, absorbe une grande partie de l’activité intellectuelle en Hongrie, la littérature n’est pourtant point négligée ; mais il n’est guère donné qu’aux écrivains politiques de plaire à l’opinion. Dès l’origine, Széchényi prit la plume pour écrire sur différentes questions d’ordre social et obtint un succès populaire. L’historien Horvath est devenu célèbre par des travaux sur l’origine des Magyares, le poète Worosmarty par des vers où respire un brûlant patriotisme. Lorsque le théâtre national a été fondé, on a écrit pour la scène magyare en prose et en vers ; cependant on y a joué peut-être beaucoup plus de traductions du français et de l’anglais que de pièces originales. Quelquefois les écrivains magyares, préoccupés de se faire lire par les étrangers dans des questions d’intérêt pressant, ont été obligés de recourir à la langue allemande. Cela se pratiquait de la sorte surtout à l’époque où beaucoup de Magyares ignoraient encore leur langue nationale. C’est ainsi que Orocz a publié, sous le titre de Terra incognita, un volume allemand qui a contribué puissamment à mettre au jour les ressources matérielles et morales de la Hongrie.