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passion par les orateurs politiques dans les comitats, étaient discutées ensuite dans les feuilles publiques, d’où elles se répandaient dans de nombreuses brochures écrites en magyare ou en allemand.

Un nouvel écrit de Kollar vint, en 1837, attaquer les Magyares jusque sur ce terrain de l’idéal et leur disputer ce dernier refuge de leurs illusions. A une théorie sur la mission providentielle du magyarisme, le poète, cette fois grammairien et philosophe, en opposait une autre sur les destinées probables du panslavisme. Kollar ne voulait, à l’entendre, que parler de réciprocité littéraire entre les différentes familles slaves ; mais, en réalité, il prêchait pour la fusion de tous les dialectes slaves en une seule langue, et de toutes les tribus slaves en une seule nation. Que demandait-il en effet ? Une sorte de confédération littéraire, pareille à la confédération politique des États-Unis, dans laquelle tous les Slaves, Russes, Polonais, Tchèques et Illyriens, pussent se comprendre entre eux sans étude. Or, le langage, c’est la vie, c’est la pensée, c’est l’homme, c’est. la nation. De l’aveu de l’écrivain, par la réciprocité littéraire, les Slaves redeviennent une nation ; ils n’ont déjà plus qu’une patrie. Si les Magyares arguent de leur droit de conquête sur le sol hongrois, Kollar leur répond que les Slaves sont à eux seuls la dixième partie de l’humanité entière, et, comme nous avons naguère renvoyé de l’autre côté du Rhin les Francs orgueilleux de leur origine, le savant slaviste demanderait volontiers que l’on renvoyât les Magyares au Mongol et au Thibet. Enfin, si les Magyares, qui voient déjà la Russie maîtresse de l’Europe, dénoncent la barbarie prête à renaître avec le panslavisme, Kollar ajoute que le panslavisme serait précisément le triomphe de la civilisation ; car il y a deux principes qui se sont développés isolément dans l’histoire : l’un antique et païen, qui nous est venu des Grecs et des Romains ; l’autre moderne, germanique et chrétien. Kollar veut, pour les temps qui vont venir, une tendance qui soit universelle et purement humaine. Une grande nation telle que la nation slave peut seule l’imprimer au monde. En un mot, dans l’opinion de Kollar, il n’appartient qu’aux Slaves réunis de concilier le présent avec le passé, et de fondre dans un principe unique et supérieur les deux principes qui ont produit la civilisation antique et la civilisation moderne.

Ainsi, les Slaves trouvaient une réponse prête à chaque prétention nouvelle des Magyares. Si les Slovaques et les Croates refusaient de s’associer aux aspirations mystiques de Kollar vers la Russie, ils n’en adoptaient pas moins ses doctrines philosophiques sur l’importance et sur le rôle des civilisations slaves dans l’avenir. Cette destinée sublime et souveraine promise à la pensée slave convenait principalement aux Illyriens, que la science regarde aujourd’hui comme la race-mère des populations slaves et la plus fidèle aux traditions antiques. Le slavisme illyrien tchèque et polonais était, pour les savans croates en particulier, un système social et politique, une croyance nouvelle qui allait régénérer la vieille Europe en la rajeunissant, et fournir à la raison mal affermie encore dans les voies du rationalisme moderne les encouragemens, les saines directions de l’instinct ; mais, si l’on voulait s’élever à la hauteur de cette mission, il fallait passer pardessus les ruines du magyarisme. Sur le terrain de la philosophie comme sur celui de la politique, tous les raisonnemens conduisaient à cette conclusion, et toujours revenaient fatalement, au bout de toutes les considérations théoriques ou positives, ces mots terribles : Il faut d’abord exterminer le magyarisme.

Attentive et prudente au milieu de ces tempêtes, l’Autriche suivait les phases