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absolue du mécanisme des comitats et des deux chambres, il accepte ces institutions telles qu’elles existent. Il veut cependant qu’elles s’ouvrent pour la bourgeoisie des villes, qui n’y possède qu’une ombre de représentation. Il veut la liberté de la parole et la liberté de la presse, limitées aujourd’hui par une censure introduite dans le royaume sans le consentement des états. Il veut pour la diète un droit de contrôle réel et une responsabilité effective dans les agens du pouvoir. Il veut aussi l’abolition des privilèges protecteurs de la propriété féodale, de ce privilège de l’aviticité par lequel les terres une fois vendues peuvent être rachetées à vil prix par le descendant du vendeur, et de cet autre privilège en vertu duquel la noblesse est exempte de l’impôt foncier et de tout impôt direct. Il demande l’égale répartition de toutes les charges publiques. Enfin il réclame à grands cris l’émancipation des terres et des paysans corvéables, l’affranchissement de la classe agricole par l’abolition des corvées et des prestations en nature[1].

Contre l’attente de l’Autriche et à son détriment, les idées émises ainsi en Hongrie ont franchi la frontière, et elles sont venues rallumer la vie presque éteinte dans le sein des diètes provinciales de l’empire. Ces corps politiques, vieux débris du moyen-âge, ne comptaient plus que comme un rouage insignifiant dans la machine administrative. La bureaucratie s’était substituée à toutes leurs fonctions, et elle avait peu à peu absorbé tous leurs privilèges. La diète de Hongrie, placée dans des conditions analogues sur un plan plus vaste, en se retrempant aux sources de la nationalité et du droit moderne, a offert aux diètes provinciales de l’Autriche des exemples qui ont réveillé leur ambition et répondent parfaitement à leurs instincts. L’Autriche effrayée s’est efforcée en vain de leur faire entendre que le mouvement constitutionnel de la Hongrie était révolutionnaire, subversif, dangereux pour la propriété et l’état social. Les défenseurs de ces diètes ont démontré avec beaucoup plus d’autorité et de succès que le triomphe du libéralisme hongrois était leur propre triomphe. Ainsi les Magyares ont créé à l’Autriche, dans ses provinces héréditaires, des difficultés sans doute moins grandes que celles de la question de race, mais capables néanmoins d’offrir des dédommagemens à leur orgueil et à leur désir de vengeance.

Au point de vue de la lutte des nationalités dans le royaume, la formation

  1. Toutes ces réformes font partie du programme rédigé à la fin de l’hiver dernier par l’opposition. Le parti conservateur a aussi formulé le sien, mais en termes beaucoup moins clairs. Enfin Széchényi a publié, sous le titre de Fragmens d’un programme politique, des études détachées pleines d’amertume. Ce sont des récriminations regrettables contre le parti libéral plutôt que des vues nouvelles sur l’état général du pays. Du reste, ces questions sont à l’ordre du jour dans la diète qui vient de s’assembler à Presbourg. Le gouvernement autrichien, cédant à la force de l’opinion, prend lui-même l’initiative d’une proposition pour le rachat des corvées. Il est donc à espérer que cette session de la diète ne sera point stérile, et puissent les idées de tolérance nationale y marcher de pair avec celles de progrès ! La diète s’ouvre sous les plus heureux auspices par la nomination d’un prince populaire, l’archiduc Étienne, aux fonctions suprêmes de palatin. Le jeune prince, l’un des plus instruits de la maison d’Autriche, a été élevé, par l’ancien palatin, l’archiduc Joseph, son père, dans la langue magyare et dans des sentimens qui passaient pour libéraux. Une intelligence ouverte et flexible comme celle de l’archiduc Étienne est une précieuse ressource dans la crise actuelle.