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Mais combien cette race est menacée, si l’on compte les ennemis qui sont debout pour la combattre ! Les Illyriens, les Slovaques, les Roumains, avec l’énergie de la jeunesse et la bravoure militaire, n’ont-ils pas aussi l’avantage du nombre, soit qu’ils fassent entre eux cause commune, soit qu’ils combattent séparés, en s’appuyant simplement, les Slovaques sur la Bohème, les Croates sur toute l’Illyrie, les Roumains sur la Moldo-Valachie ! Je ne compte point les Allemands, dont la destinée est fort incertaine au milieu de ces vicissitudes, et qui, par la nécessité de diviser pour se maintenir, sont exposés à changer souvent de tactique et d’alliés. Il est vrai que l’Autriche a toujours été jusqu’à présent avec les faibles contre les forts, parce que les forts lui causaient de l’ombrage, et peut-être l’histoire serait-elle ainsi pour les Magyares une raison d’espérer en l’appui de l’empire ; mais ses six millions d’Allemands, joints à quatre millions de Magyares, prévaudraient-ils contre dix-sept millions de Slaves et trois millions de Roumains, encouragés par tous les Slaves et tous les Roumains de la Turquie, qui, en cas de détresse, auraient encore les sympathies fraternelles des Polonais, et, au besoin, le concours intéressé des Russes ?

Si donc la question des races doit se trancher un jour par la violence, dans ce grand conflit, les Magyares seront inévitablement écrasés. Écoutez toutes les prédications slaves. Ne poussent-elles pas dès à présent les Illyriens et les Slovaques à se rejoindre, en s’avançant les uns et les autres vers les bords du Danube, ce fier ancêtre de tous les Slaves ? Et, en vérité, ils n’en sont point assez éloignés pour que, sous l’impulsion de quelque grand intérêt, ils ne songent pas un jour peut-être à tenter l’aventure. Enfin, si le panslavisme devait intervenir dans le jugement de cette querelle, les Magyares le sentent bien, ils seraient exterminés, ou ils disparaîtraient sans retour dans le vaste sein d’un empire de quatre-vingt dix millions dames, où la population promet de doubler en un siècle.

Serait-ce que l’avenir est entièrement fermé aux descendans d’Arpad, et qu’au bout de tous les calculs de probabilités se retrouve pour eux la même certitude de ruine ? Les Magyares en seraient-ils arrivés à cet état désespéré où les peuples égarés, n’ayant point d’ame immortelle qui soit punie dans un autre monde, doivent du moins expier leurs fautes en celui-ci par le néant ? Non ; une voie leur reste ouverte, une voie qui ne les portera point sans doute à cette grandeur rêvée dans la foi de la jeunesse, mais qui les conduira à une condition encore honorable et à un rôle digne d’un peuple libre. Qu’ils réfléchissent à la situation critique de l’Europe et au mouvement des petites nationalités slaves, l’Illyrie, la Bohème, la Pologne. Il est certain qu’en dépit des projets du panslavisme, qui prétend entraîner dans les destinées de la Russie toute l’Europe orientale, le sentiment de l’individualité des familles slaves ne s’est pas plus affaibli chez les Illyriens et les Bohèmes que chez les Polonais. Laissons un moment de côté les Valaques, qui, grace à leur origine latine, ont leur tendance propre au milieu des Slaves. Bien que les Bohèmes, les Illyriens, les Polonais aient plus de penchant pour la Russie que pour l’Allemagne, cette inclination, qui vient du sentiment d’une origine commune merveilleusement exploité par la Russie depuis quinze ans, ne va pas pourtant jusqu’au désir d’une union politique. Kollar lui-même, éclairé par l’expérience, en est arrivé aujourd’hui à des idées plus calmes et plus pratiques, et n’oserait plus sans doute conseiller cette alliance à ses concitoyens ; mais les Polonais l’ont subie, et qui peut ignorer aujourd’hui le génie diplomatique