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des Russes partout victorieux, leur puissance matérielle incessamment croissante ?

Les Illyriens et les Bohèmes, qui sur ce point sont trop faiblement protégés par l’Autriche tremblante en face des czars, ont donc à se précautionner, à s’affermir, par tous les moyens matériels et moraux, contre les dangers que la Russie leur fait courir en leur offrant fallacieusement ses services, en les conjurant, par des regards et par des paroles caressantes, de croire à ses sentimens fraternels. C’est là l’état de choses qui ouvre à l’activité politique de la race magyare une issue nouvelle et sûre. Cette race a jusqu’à présent fait une guerre sans relâche au panslavisme, mais en le poursuivant là où il n’était pas, dans le mouvement national des Illyriens et des Tchèques ; il faut qu’elle l’aille chercher désormais là où il est bien réellement, dans la diplomatie secrète de la Russie, attentive à profiter de la situation difficile que le magyarisme a faite à ces peuples. Il faut qu’elle dérobe à la Russie ces circonstances à l’aide desquelles les émissaires moscovites peuvent un jour triompher de la répulsion que ces jeunes nationalités éprouvent pour ce panslavisme oppressif. Il faut que la race magyare, oubliant tant de rancunes injustes et domptant son funeste orgueil, cesse d’ambitionner des conquêtes impossibles pour proposer une paix nécessaire ; qu’au lieu de pousser les Illyriens et les Bohèmes dans les bras ouverts de la Russie, elle leur prête un appui, leur tienne un langage capables de les en détourner à jamais. Par une inconséquence heureuse, les Magyares, loin d’avoir pour les Polonais la haine qu’ils portent aux autres Slaves, ont toujours témoigné à cette nation les sympathies les plus vives, comme à celle dont le sort se rapproche le plus du sort de la race magyare. Mais que sont les Bohèmes et les Illyriens, sinon des Polonais dont la ruine et les malheurs sont plus anciens ? Et est-il besoin de rappeler aux Magyares que les Slovaques et les Croates leur sont liés encore par le nom de Hongrois, par une constitution, par des défaites communes, par une ressemblance de condition et d’intérêt qui rend ces liens sacrés ?

En appelant les Bohèmes et les Illyriens au partage des biens qu’ils ambitionnent pour eux-mêmes et pour la Pologne, les Magyares font donc un acte de rigoureuse équité et de saine politique. Ils préviennent d’une part la dissolution imminente du royaume de Hongrie, et de l’autre ils ferment les défilés des Carpathes au panslavisme des Russes. Or, les Valaques, auxquels les Magyares doivent la même justice qu’aux Croates et aux Slovaques, pour des raisons pareilles et non moins puissantes, seconderaient vraisemblablement une politique aussi salutaire. En effet, la jeune race roumaine, la seule nationalité de l’Europe orientale qui, avec les Magyares, ne soit point slave et ne s’accommode à aucun prix du panslavisme, ne serait-elle pas conduite, par ses propres inclinations, à entrer dans cette combinaison, soit comme médiatrice, soit comme partie agissante ? Les Moldo-Valaques, aujourd’hui non moins irrités que les Illyriens et les Bohèmes contre les Magyares, oseraient-ils conserver cette irritation dès qu’on leur proposerait d’élever sur les Carpathes et sur le Danube, d’accord avec les autres nationalités de l’Europe orientale, un rempart contre les agressions du panslavisme russe, et ne seraient-ils pas naturellement unis aux Magyares en face de toutes les difficultés que pourrait rencontrer cette grande et sage alliance de principes et d’intérêts ? L’union des Valaques avec les Magyares n’aurait pas seulement pour conséquence politique de vaincre le panslavisme en sauvant la