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Hongrie ; elle servirait aussi, en face des civilisations slaves, une civilisation plus forte et plus avancée. De même que les Magyares vont puiser quelquefois leurs exemples chez nos voisins d’outre-mer, les Valaques latins, par inclination comme par origine, viennent volontiers chez nous chercher des enseignemens qui les séduisent. Les deux grandes faces de la civilisation occidentale se trouveraient ainsi réfléchies, au milieu de la vaste race des Slaves, par deux peuples actifs, qui pourraient renvoyer cette lumière à tout l’Orient.

Voilà les perspectives qui se trouvent encore ouvertes devant les regards inquiets des Magyares ; c’est à eux de décider si un tel rôle n’est point au-dessous de leur ambition légitime ; c’est à eux de voir s’ils veulent rendre ce service à l’équilibre européen et aux idées modernes, de concert avec les Illyriens, les Tchèques et les Roumains, ou s’exposer par orgueil soit à périr de la main de ces peuples, soit à être exterminés par le panslavisme. Hors de cette union déjà tardive, il n’y a pour eux point de salut : la Hongrie marche à une dissolution inévitable, et le peuple magyare à des catastrophes certaines.

Un poète fort populaire, M. Worosmarty, a entrevu le secret de cette crise dans un hymne national qui est regardé comme une sorte de Marseillaise : C’est la vie ou c’est la mort. Certes, le poète espère bien que ce sera la vie, et, en songeant à toutes les souffrances que la race magyare a traversées, il ne croit pas qu’elles puissent rester sans récompense ; il compte sur un temps meilleur. Cependant des doutes pleins d’angoisse se mêlent à cet acte de foi, et il parle aussi, à défaut de ce temps meilleur, d’une grande ruine qui serait consommée, du cadavre d’un royaume qui roulerait dans le sang, du tombeau d’une nation autour duquel les peuples en deuil viendraient un jour pleurer. J’ai entendu pour la première fois cette mâle poésie sous l’humble toit d’une auberge de la Theiss, au moment de quitter le pays magyare pour arriver chez les populations roumaines. Un voyageur la récitait, après des danses bruyantes dont nos hôtes nous égayaient pour abréger les heures d’une soirée d’hiver. Je ne saurais dire avec quel saisissement religieux nobles et paysans l’écoutaient, comme si ces paroles eussent répondu aux plus secrets instincts des coeurs. Pour moi, elles avaient plus que l’intérêt d’une nouvelle observation à recueillir ; elles résumaient tout ce que j’avais appris du magyarisme, elles déroulaient devant mes yeux les principaux traits du passé et sans doute aussi de l’avenir de la race magyare : un long enchaînement de victoires et de défaites, beaucoup de gloire et beaucoup de malheurs, et, au bout de ces vicissitudes, l’alternative d’un nouveau triomphe à remporter par la prudence ou d’une chute qui serait la dernière.


H. DESPREZ.