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d’une trempe d’esprit toute différente et moins égaré, ce semble, par sa sensibilité, jetait dans le monde politique, sous le pseudonyme d’un homme d’état, un livre de circonstance, où, par une étrange rencontre, l’esprit le moins révolutionnaire exprimait des idées qui ne sont pas sans analogie avec les théories que nous venons d’analyser.

Depuis que M. de Polignac, peu de temps avant de mourir, jetait dans une brochure justificative les dernières rancunes qui l’animaient contre le gouvernement représentatif, et traitait l’assemblée constituante comme un ramassis de gens sans honneur et sans probité, la déclaration des droits comme la plus absurde des impiétés, le régime constitutionnel n’a pas eu de plus rude adversaire, la révolution de plus dédaigneux détracteur que l’écrivain dont nous parlons. Il faut voir avec quel superbe dédain l’homme d’état anonyme parle « du chiffre grossier de 1789, » et marque en passant d’un trait de vigoureuse ironie « la brutale émeute de la Bastille ! » M. Capefigue (car c’est de lui qu’il s’agit) a vu l’état de la société, la force des factions, la faiblesse du gouvernement, et il a été saisi de terreur. Sauver le gouvernement et la nation, telle a été son ambition. Pour arracher la société, que le communisme menace, aux bouleversemens, à l’anarchie, il n’y a, selon M. Capefigue, qu’un remède, et qui, pour atteindre ses effets, ne saurait être trop prompt et trop radical. Organiser, pour commencer, un vaste système de répression, rentrer dans les voies de fermeté ouvertes par le rapport si remarquable de M. de Chantelauze, supprimer autant que possible le jury pour les délits de presse, « aggraver la rigueur salutaire des lois de septembre, » voilà quant à la réforme politique. Étonnez-vous après cela que M. Capefigue trouve M. de Metternich et M. de Nesselrode, comme il le dit d’une manière piquante, très jeunes d’idées ! Mais la réforme politique ne lui suffit pas, et voici le point où M. Capefigue, le fauteur de l’ancien régime, va rejoindre M. Calixte Bernal, le partisan de la démocratie la plus avancée. Un despotisme paternel, voilà l’idéal dans lequel ils arrivent à se rencontrer. Il faut savoir gré à M. Capefigue de vouloir bien donner le plus grand avantage du peuple pour but à sa théorie ; en vérité, elle ne l’y contraignait pas, et, partant du fait brutal et matériel, rien ne le forçait d’en sortir. Quant aux réformes proposées, elles peuvent se résumer ainsi : pour la nourriture du corps, du pain ; pour la nourriture de l’ame, une religion d’état. Si M. Capefigue a cru faire ainsi de la politique, il se trompe ; par une habitude invétérée, il a fait encore de l’histoire, et de la vieille histoire cette fois-ci. L’empire romain aussi donnait au peuple du pain, du pain et des jeux, du pain et une religion d’état, et le peuple souvent ne murmurait pas ; c’étaient même les plus mauvais empereurs qui avaient ses plus vives sympathies. Cet heureux temps n’est plus. Les nations ont reculé jusqu’au gouvernement constitutionnel, et le peuple, malgré ses souffrances, demande autre chose que du pain ; la société, devenue avec l’âge follement exigeante, ne se montrerait pas satisfaite, même si M. Capefigue se chargeait de faire régner l’ordre le plus parfait dans la maison politique, d’assurer à tous le vivre et le couvert dans un ménage où présideraient les plus humains de tous les maîtres. Comment ce changement s’est-il opéré ? Comment le gouvernement despotique, même quand il lui est arrivé d’être animé de bonnes intentions, s’est-il trouvé un jour frappé de la plus absolue impuissance et entravé par ses propres abus ? Comment le gouvernement représentatif, avec