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réclamations et des résistances, et il semble croître en importance de toute l’étendue de sa publicité. Sous les gouvernemens absolus, on ne commence à s’apercevoir que la machine ne va plus qu’au moment où elle va s’arrêter ou que déjà elle a cessé de fonctionner. Sous le gouvernement constitutionnel, il n’est pas de petit ressort qui se dérange sans qu’il y ait une multitude de gens qui le montrent du doigt et qui crient que tout va se rompre. Le gouvernement absolu est un malade qui meurt silencieusement d’une maladie chronique, s que personne remarque les progrès du mal ; le gouvernement constitutionnel comme un homme sain dont les moindres indispositions sont remarquées trente millions d’hommes. Qui donc s’étonnerait qu’à lire tous les matins bulletin de sa santé, rédigé par des médecins pessimistes, il ne soit sujet parfois à se croire malade, et qu’il n’éprouve plus même d’autre embarras que de savoir de laquelle de ses maladies il va bientôt mourir ? C’est peut-être un peu là notre histoire, et ce qui cause par instans notre désespoir doit au contraire, ce nous semble, nous donner du courage. Si l’opinion est prompte à s’exagérer le mal, elle n’en est que plus empressée à le corriger. Elle rejette en fin de compte ces faux remèdes qui, vingt fois mis à l’épreuve, ont vingt fois prouvé leur impuissance ; mais elle fait la part à la vérité dans l’erreur, à la critique fondée dans l’injustice violente, et elle tient en éveil ceux qui, de l’élévation où ils sont placés, oublieraient qu’il y a encore du bien à faire, des lumières à répandre, une saine éducation morale à propager et des souffrances nombreuses à rendre plus légères. L’opinion ! voilà la puissance constitutionnelle dont ne tiennent nul compte ceux qui voient dans un gouvernement d’élection une oligarchie d’argent constituée, et dans la bourgeoisie, classe mobile, ouverte à tous et composée des élémens les plus divers, une aristocratie immobile, fermée, identique dans toutes ses parties, et unie contre les classes inférieures par un intérêt commun et opposé à tous les autres. Cette élasticité du gouvernement constitutionnel, le seul dont les abus ne fassent pas partie intégrante, cette puissance indéfinie de dilatation qui lui permet sans cesse de s’étendre sans se briser et de se modifier sans périr, voilà l’honneur, voilà la force véritable du régime représentatif ; il est le seul qui, n’excluant l’expansion d’aucune force, trouve en lui-même des ressources pour parer à tout. C’est ce que ses adversaires, au nom d’une logique étroite ou d’une aveugle impatience, s’obstinent à méconnaître ; c’est ce que ses amis ne doivent pas permettre qu’on oublie et ne doivent pas oublier pour leur compte.


HENRI BAUDRILLART.