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de cet âge d’or de la Lorraine. M. de Dumast a raconté aussi avec une vérité touchante les déchiremens cruels déterminés par l’installation glorieuse de la maison de Lorraine sur le trône d’Autriche. Ces pages, vivement écrites, nous amènent à un nouveau règne, à celui de Stanislas, qui devait clore si brillamment la série des monarques lorrains. La tâche de ce prince était difficile. Placé sur le trône par l’étranger, il lui fallait conquérir l’amour des Lorrains et créer des sympathies pour la France là où les malédictions avaient jeté de si profondes racines. Stanislas ne faillit pas à cette œuvre en apparence impossible ; il sut préparer une réunion devenue nécessaire et l’accomplir sans secousse, sans violence. L’admirable bon sens des Lorrains lui vint en aide, il est vrai, car eux aussi avaient compris qu’il fallait renoncer aux illusions d’un passé glorieux et cher, et qu’il fallait se rallier franchement à la nation avec laquelle ils avaient le plus de rapports de mœurs, d’idées et de langage.

La seconde partie de l’ouvrage de M. de Dumast est toute descriptive ; mais la description ramène encore l’auteur à l’histoire. Il ne néglige aucune occasion d’apprécier, à propos des monumens ou des beaux sites de la Lorraine, les hommes illustres dont ils gardent le souvenir. La fondation de Nancy est, par exemple, spirituellement racontée et expliquée. « Le beau vallon, dit M. de Dumast, où vont se perdre l’un dans l’autre, devant Frouart, les deux principaux cours d’eau de la Lorraine (la Moselle et la Meurthe), n’offrait au XIe siècle aucun espace large et libre, qui pût inviter à y placer des constructions nombreuses. Épais abri des bêtes farouches, il était couvert tout entier par une des ailes de l’immense forêt de Hais, dont les verts et sombres fourrés renfermaient bien peu de clairières, si ce n’est autour des romantiques donjons de Bouxières et de Liverdun ; mais, à deux petites lieues du confluent, s’ouvrait un bassin vaste et fertile, propre au labourage, au commerce, à tous les développemens d’aisance que réclame une ville souveraine. Là, sur la limite des coteaux et des plaines, du pittoresque et de l’utile, de la région boisée et de la région cultivée ; là, par la seule force des choses, s’élevèrent les édifices de la résidence ducale. Nancy ne fut autre chose que Frouard, reculé de deux lieues pour se trouver établi sur un terrain plus vaste et plus commode. Placé au point de jonction de quatre anciennes contrées naturelles, le Saintois, le Scarponnais, le Chaumontais et le Saulnois, Nancy représenta leur alliance ; il représenta surtout la réunion de la Meurthe et de la Moselle, et les sentimens des populations répandues le long de ces deux rivières et de leurs affluens. Aussi fut-il dès l’origine une idée grande et vraie, par conséquent une idée forte. C’est pourquoi il fut appelé de bonne heure, et long temps, et toujours, à jouer un rôle bien au-dessus de ce qu’annonçait la médiocrité de son enceinte. »

Le sentiment qui domine la partie historique du livre de M. de Dumast domine aussi la partie pittoresque. La vieille Austrasie a laissé sur le sol de la Lorraine non-seulement de curieux monumens, mais une forte empreinte morale. Faire revivre les qualités qui font l’originalité du génie lorrain en rappelant à la génération actuelle les glorieux exemples des générations qui l’ont précédée, c’est remplir une tâche qui mérite tous les encouragemens de la critique sérieuse. Cette tâche, M. de Dumast se l’est proposée, et il l’a remplie. Pourtant sa modestie semble regarder son œuvre comme incomplète. Ce qu’il rêve comme le meilleur moyen de ranimer dans tous les cœurs l’énergique sentiment