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armée de la Prusse ; mais, comme le militaire, l’employé est assez fortement préparé pour se remettre vite et aborder le péril. C’est un problème de savoir si la liberté de mouvement, nécessaire aux chefs responsables d’un état constitutionnel, s’accommode avec les conditions rigoureuses dont on peut charger l’entrée des fonctions publiques dans un état absolu. J’aime à penser que tous les problèmes politiques doivent se résoudre pour le plus grand honneur du régime parlementaire, et je ne verrais point alors d’honneur plus sérieux pour le nôtre que de subordonner un jour le recrutement de notre personnel administratif à quelques-unes de ces exigences dont l’administration prussienne est si vigoureusement armée. Celle-ci ne pèche-t-elle pas à son tour par le luxe de ses précautions ? N’y a-t-il pas dans la lente ascension de ses degrés un obstacle trop ardu pour la diffusion des idées neuves, pour l’avancement des esprits actifs ? Nous aurions beaucoup à nous corriger de notre indigence et de notre précipitation avant d’avoir à redouter l’excès contraire. Ce travail opiniâtre, avec lequel les employés prussiens s’emparent de leurs places, amène nécessairement un grand nombre d’hommes distingués dans leurs rangs. C’est surtout aux échelons intermédiaires, — non pas toujours en haut où la routine gagne souvent avec l’âge, non pas en bas où végète l’incapacité, mais aux postes moyens où l’on arrive avec la fleur des années et du talent, — c’est là que se rencontrent beaucoup d’esprits élevés et cultivés, dont la réunion donne à ces sphères estimables un caractère qu’elles n’ont nulle part ailleurs. L’administration prussienne a des chefs de division vraiment précieux, c’est un honneur national ; mais, je le dis aussi, parce que c’est là tout le secret des fautes de cette administration si correcte, les meilleurs chefs de division ne font pas encore des ministres ce sont les ministres qui manquent.

Ne parlerai-je pas enfin des universités ? Il faut bien pourtant qu’elles s’attendent à descendre un peu maintenant du faîte de cette importance politique dont elles jouissaient quand le pays n’avait pour tribune ouverte que les tribunes de la science et de la philosophie. C’est déjà là ce qui arrive, leurs gloires s’en vont et ne se remplacent pas. Du temps où Niebuhr professait à Bonn, Hegel à Berlin ; du temps où M. de Savigny avait le bon goût de n’être pas ministre, du temps même de Gans, la grande corporation du haut enseignement exerçait sur le pays et sur l’état une influence égale au prestige dont elle les décorait ; et néanmoins ce n’était pas uniquement parce qu’il y avait dans la chaire des hommes supérieurs que la chaire rendait des oracles, c’était aussi parce que la parole qui en tombait était la seule parole qui résonnât alors dans le silence universel. La domination exclusive de ces doctes autorités avait sans doute sa grandeur ; elle avait aussi son péril. Dans cet isolement majestueux où elle commandait, la science acquérait plus