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comme une mer envahissante, le commerce anglais, dominant sans rival d’un bout à l’autre de l’Océan, réalisait d’immenses bénéfices. Comme le prix des objets de consommation haussait suivant des proportions considérables[1], on augmenta le salaire des juges, la solde de l’armée et de la flotte, on donna un supplément de traitement à tous les employés de l’administration. La tourmente finit bientôt par ne plus porter que sur les petits rentiers, dont les revenus demeuraient stationnaires, mais dont les réclamations pouvaient être dédaignées sans graves inconvéniens.

Bien que le retour à un état de choses plus régulier, après le rétablissement de la paix, ait été marqué de faits sinistres pour l’industrie et le commerce, ce changement, on peut le croire, venait fort à propos. L’Angleterre n’aurait pas trouvé long-temps encore les moyens financiers de prolonger la lutte. La crise de 1815 et des années suivantes s’offrit avec deux traits principaux très rares dans les situations analogues, le bon marché et l’abondance. Pour faire comprendre le trouble apporté alors dans les transactions commerciales, il suffit de rappeler que le prix des objets de consommation diminua de 30 et 40 pour 100. Comme cet abaissement continua, plus prononcé encore, après le fameux bill de 1819 (Peel’ currency bill) sur la reprise des paiemens en espèces qui commençait de faire rentrer la Grande-Bretagne dans les vrais principes du crédit, on a voulu voir dans les dispositions de cet acte la raison essentielle de la dépréciation générale des produits ; mais, depuis les recherches de M. Tooke, il n’est plus guère possible de s’aveugler sur les causes réelles et multiples qui affectèrent les prix à cette époque. Le gouvernement avait prêté, au début de la crise, quelque assistance à l’industrie et au commerce à l’aide de bills de l’échiquier et par l’intermédiaire de la banque. D’un autre côté, certaines mesures, telles que le bill des céréales de 1815, avaient été prises contre l’abondance, dans l’intérêt de l’aristocratie territoriale. Le temps suffisait seul, avec l’âpreté bien connue du caractère anglais, pour que le commerce, revenu de son étonnement, rentrât dans son cours ordinaire.

Lorsqu’on examine avec attention, à l’époque où nous sommes arrivés, les tendances réciproques des puissances européennes, on est frappé d’une contradiction singulière. Au moment même où la bonne harmonie vient de se rétablir entre les peuples, les gouvernemens laissent voir des inclinations prononcées vers l’isolement financier. Peu à peu, néanmoins, les événemens viennent donner un démenti à des doctrines erronées. Le goût des affaires, l’esprit de spéculation, devaient même porter bientôt les capitalistes de Londres à ouvrir leurs caisses aux emprunteurs étrangers avec une facilité qui a été qualifiée d’imprudente[2]. Imprudente ou non, cette facilité était l’indice d’une disposition générale à élargir la base du crédit par-delà les frontières. Quand vint la fameuse crise de 1825-1826, le remède qui sauva la banque en péril fut encore un démenti donné à la théorie de l’isolement. Les embarras n’étaient plus cette fois, comme en

  1. Les causes très diverses de cette hausse ont été analysées avec une rare sagacité par M. Tooke dans ses intéressantes recherches sur les prix et la circulation : a History of prices and the state of the circulation from 1793 to 1837.
  2. Dix-sept emprunts étrangers furent contractés dans les seules années 1823-24 et 25, montant à 37 millions sterling (1 milliard de francs environ).